Après Richard Berry, accusé par sa fille, voici PPDA, violeur d’une ex-groupie. Le Parisien, jamais en retard d’un récit libidineux, narre dans le détail l’accusation à laquelle l’ex-présentateur de TF1 doit répondre. Que son accusatrice ait elle aussi un livre sur le gaz, qui de surcroît peinait à décoller, n’a bien entendu aucun rapport avec le soulagement soudain de sa conscience.
Tout remonte à l’automne 2004. Une étudiante ambitieuse écrit une lettre à PPDA, dont elle admire les romans, ce qui témoigne d’un goût littéraire très sûr, et y joint des extraits de ses œuvres à venir. Le présentateur finit par lui répondre, l’appelle tard le soir, et lui demande (dit-elle) si elle a un copain, et combien de fois elle se masturbe par jour ou par semaine. Des questions bien innocentes posées à 11 heures du soir, et qui ne mettent pas du tout la puce à l’oreille — ni ailleurs.
C’est donc en toute innocence, figurez-vous, qu’elle se rend au rendez-vous que lui fixe un homme connu pour sa séduction, et de fil en aiguille… « J’étais vierge », déclare-t-elle. Sans doute, comme toutes les pucelles, entendait-elle le rester, c’est même pour ça qu’elle était là. « Florence Porcel affirme n’être pas parvenue à s’enfuir sous l’effet de la surprise et de la sidération, mais soutient que sa panique était clairement perceptible et qu’elle a émis des cris de douleur », écrivent Jean-Michel Décugis et Jérémie Pham-Lê. Oui, il est assez rare que ça passe comme une lettre à la poste. Comme dit Sade quelque part à propos de la sodomie :« On n’arrive aux roses qu’en passant par les épines. »
« A l’époque, l’étudiante n’aurait pas pris conscience qu’elle venait de subir un viol », continuent nos duettistes. L’idée ne lui en est venue que 16 ans plus tard. Entre-temps, elle retrouve notre Don Juan en 2009, et lui taille une pipe — « non, non », dit-elle, d’autant qu’il s’agit d’une « fellation non protégée ».
C’est curieux, cette appétence soudaine pour le goût latex…
Porter plainte ? Elle y pense, dit-elle, mais y renonce, en considération du statut de star du prédateur. Elle conserve néanmoins ses messages, afin d’alimenter le roman qui vient de sortir (Pandorini, chez Jean-Claude Lattès). Un roman à clef, forcément. « Cathartique », disent les rédacteurs du Parisien, qui ont fait des études et connaissent des mots compliqués.
Tout tient désormais à un mot — non pas « viol », mais « emprise » : je souhaite bonne chance aux juristes chargés de donner du contenu à un mot qui n’existe pas dans le Code. « [Florence Porcel] décrit un mécanisme d’emprise psychologique dans lequel elle se serait alors enferrée, un système de déni né de l’admiration qu’elle avait pour cet homme célèbre, puissant et bien plus âgé et son désir de percer dans le monde littéraire. »
Admirez comme tous les mots sont bien en place. « Emprise » chapeaute la phrase, de sorte que « déni » passe pour une preuve à charge, et qu’« admiration » et « désir » sont évacués en fin de raisonnement. Il suffirait d’inverser l’ordre pour obtenir l’effet inverse, et montrer que l’accusation d’emprise naît du déni du désir.
Mais a posteriori, quelle délectation de ré-écrire l’histoire !
Il va falloir sérieusement réviser les concepts littéraires les mieux établis. Héloïse et Abélard ? Emprise d’un éducateur sur une élève — oh comme on a bien fait de lui couper les roubignoles ! Tristan et Yseult (la blonde, pas le thon qui fait de la publicité pour l’obésité morbide) ? Emprise par l’intermédiaire d’un élixir « drogue du viol » du XIIe siècle ! Roméo et Juliette, Phèdre et Hippolyte, Paul et Virginie, même tonneau : emprise, vous dis-je !
Autrefois, on appelait ça de l’amour. Oui, mais ça, c’était avant. #MeToo est passé par là, la parole des femmes est sacrée, aucune femme ne mentirait sur un sujet pareil.
Qu’un sentiment d’horreur, voire de haine, puisse se conjuguer assez souvent au désir ne trouble pas la conscience de nos modernes accusatrices. Que Psyché se rende chaque soir chez un « monstre » avec un frisson délicieux, que la Belle tombe amoureuse de la Bête, que Blanche-Neige soit fort aise que le Prince lui ait roulé une pelle assez énergique pour déloger le petit bout de pomme empoisonnée resté dans un plombage, ou que la princesse Aurore se soit fait réveiller sans son consentement par ce même Prince (un serial niqueur, celui-là, il est présent dans tous les contes et on raconte ça aux enfants), peu chaut désormais au chœur des demi-vierges. Elles veulent des têtes — et, à défaut, des têtes de nœud.
Quant à la part de publicité calculée, comme dans d’autres récits de viol la part de règlements de comptes, ou la part de fantasme et de souvenirs implantés, il reste à la Justice à s’en démêler. En attendant, les réseaux sociaux, peuplés de gens qui ne se font faire de gâteries que sur Pornhub, se déchaînent, et affirment péremptoirement qu’Untel est coupable, et tel autre aussi : victime, voilà un statut moderne et fashionable. Facebook ou Twitter, c’est le règne de tous les Savonarole et Fouquier-Tinville d’occasion. Vite, l’adresse de PPDA (après tout, le Parisien a bien indiqué récemment où coincer Olivier Duhamel pendant qu’il sort son chien), afin que nos exécuteurs publics sachent où lyncher l’infâme — ce qui leur sera permis seulement après avoir acheté le dernier livre dénonciateur.
Sur la masse des prédateurs supposés, il y en a un certain nombre qui sont blancs comme neige. Mais subsistera quand même la satisfaction d’avoir sali quelqu’un, ce qui permet de se sentir bien propre. On vit décidément une époque formidable.
Jean-Paul Brighelli
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