Ce sera à peine une chronique.
J’aimerais, si quelqu’un a une réponse rationnelle, comprendre l’origine des déluges de haine déversés sur Alain Finkielkraut depuis deux jours. Passe encore que des journalistes de LCI fassent de la lèche à leur direction en se déclarant écœurés : un certain Christophe Beaugrand approuve à 100% — le coup de pied de ‘âne. Sur les réseaux sociaux, c’est la curée — et j’ai été pris dans la maelström pour avoir tenté de raisonner quelques mégères hystériques, persuadées qu’aucun adolescent ne surfe sur des sites pornos, à moins d’être complètement pervers. Elles se font des illusions sur leurs mômes, si elles ont trouvé quelqu’un pur leur en faire, et en tout cas, elles n’ont jamais enseigné en classe de Quatrième. Il y a trois ans, l’âge de visionnage de sites pornographiques s’établissait justement entre 14 et 15 ans — et il a baissé depuis : des gamins de 10 ans s’y risquent, comme je l’ai raconté par ailleurs.
La question d’ailleurs n’est pas là.
Une expression court les rédactions depuis quelques années, celle du « tribunal du Net ». C’est une alliance de mots de même valeur que la « raison du plus fort » du bon La Fontaine — qui savait, lui, ce qu’était une décision arbitraire. Le Net est devenu un outil pratique de lynchage à distance — au moins on ne se salit pas les mains. De quoi écœurer tout individu respectueux du Droit. C’est la résurrection de la « Frontière » nord-américaine des grandes années, quand on flinguait de l’Indien à vue et que l’on pendait sans jugement les voleurs de chevaux — ou suspectés de l’être. Voir le très beau Pendez-les haut et court, de Ted Post, où Clint Eastwood, innocent de tout ce qu’on lui reproche, réchappe de peu à la vindicte de salopards bien intentionnés — comme le sont les tricoteuses qui veulent des têtes aujourd’hui. À se demander si les interprétations monstrueuses que l’on fait de deux phrases maladroites ne sont pas la traduction des fantasmes qui errent dans les caboches des coupeurs de têtes, toujours prompts à déceler chez les autres ce qu’ils ne s’avouent pas à eux-mêmes.
LCI, qui a courageusement viré de son antenne le fautif, a fait disparaître la totalité de l’émission, dont ne subsiste qu’un extrait décontextualisé. Heureusement que l’excellent Philippe Bilger, magistrat honoraire qui en connaît un bout sur le Droit, le publie dans son intégralité dans un article qui tente de remettre un peu de bon sens dans cette curée.
Alors, si quelqu’un a une interprétation non passionnelle à proposer, je suis prêt à l’entendre. Parce que depuis deux jours, je ne m’en remets pas. À haut niveau, les intelligences s’additionnent. Mais au ras du sol, elles s’annulent — sauf qu’en l’état, le crétin le plus confirmé se croit avoir autant de droits à la parole qu’un intellectuel de haut niveau. C’est le genre de situation qui m’amène à me réciter les derniers mots d’Alceste, dans le Misanthrope :
« Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices ;
Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d’être homme d’honneur on ait la liberté. »
Jean-Paul Brighelli
Comments are closed.