André Antibi a décidément l’oreille du ministre… Cela va faire plaisir à certains.
Antibi est ce mathématicien toulousain auteur, il y a deux ans, d’un livre intitulé la Constante macabre. Selon lui, l’école a besoin, pour légitimer le fait même de mettre des notes, d’un « volant » de mauvaises notes, dont l’effet le plus certain est de traumatiser les jeunes consciences.
Donc, désormais, apprêtons-nous à donner, la veille de tout exercice, les questions et les réponses aux élèves. Afin de ne plus choquer ces jeunes…
C’est cela, sans doute, la « positive attitude ». Lorie est devenue ministre de l’Education sans même s’en douter.

Il fallait être mathématicien (et sous-doué) pour imaginer un pareil système. Les mathématiciens réels nous apprennent que la qualité de la copie ne tient pas au résultat, mais au raisonnement. Un prof de Lettres vous dira que tout tient à la rédaction.
Mais déjà, dans plusieurs concours (y compris, par exemple, celui qui recrute les futurs instituteurs — pardon : professeurs des écoles), tout se passe en QCM. Plus besoin de savoir aligner trois mots : il suffit de faire des croix.
Le rêve d’Antibi est de généraliser le processus.
Dès lors, nous ne serons plus une fabrique de crétins : le Crétin généralisé verra le jour.
Il faut être sérieusement minable pour imaginer ce rêve.

Je ne vais pas me donner le ridicule de « défendre » l’actuel système de notation. Les Suisses y avaient renoncé, et viennent de le remettre en fonction, ce qui vaut à la « conseillère pour l’éducation » du canton de Vaud un déluge de lettres d’encouragement de ses électeurs. Le ministre, qui oscille entre le rationnel (le retour à la méthode alphabétique) et l’irrationnel (le pédagogisme dans ce qu’il a de plus caricatural), devrait se dire que siffler la fin de la récréation serait vraiment populaire…

La note n’est qu’un symbole. Elle est une vision flash de ce que vaut l’élève sur une fraction de temps limitée. Jamais on n’a sous-entendu, en mettant une mauvise note, que l’élève était cette note. Avoir zéro, ce n’est pas être un zéro.
Et, à l’autre bout, avoir de bonnes notes ne signifie pas que l’on est… bon.
La note permet d’évaluer, et de s’évaluer. Par ailleurs, elle est éminemment sociale : elle permet de se situer. N’importe quel enseignant vous dira qu’il ne note pas du point de vue de Sirius, comme disait Voltaire : on note en fonction de la difficulté de l’exercice, du niveau de la classe, voire du niveau de l’établissement, et du seuil d’exigence de l’épreuve. Aucun prof ne noite en fonction de ce qu’il aurait fait, lui.
La note est une incitation à faire mieux.

Anecdote personnelle.
Quand j’enseignais en collège, je faisais des dictées, et je mettais même des notes négatives (pourquoi s’arrêter au zéro ?). Les élèves trouvaient cela très drôle — et ça l’était, et c’était bien l’objectif : dédramatiser, et en même temps donner une idée de son niveau réel.
On devrait, de même, noter au-dessus de 20 les copies exceptionnelles — et il s’en trouve. D’ailleurs, on a noté l’épreuve de maths du Bac S, il y a deux ans, pour « cause de grève » des enseignants, sur 26.
C’était démagogique, bien sûr, parce que c’était connecté à une cause irréelle (tous les enseignants grévistes que j’ai connus faisaient tous cours tout en faisant grève, parfois avec un macaron « gréviste » accroché au revers). Mais l’idée serait à conserver : plutôt que de supprimer les notes (et ça, ce n’est pas de la démagogie ?), autant étendre l’éventail des notes. Le 0 est une limite insupportable : certains fournissent un travail qui est moins que nul. Le 20 est une autre limite invraisemblable : pourquoi ne pas imaginer un critère de notation pour les meilleurs ?

Parce que le but ultime de l’école est bien ceui-là : sélectionner les meilleurs. En donnant à tous une instruction minimale, bien sûr. Mais tout en haut de l’échelle, il n’est question que d’élite.
Darwin et Nietzsche nous ont appris qu’on ne (sur)vit, qu’on ne progresse, que grâce à la faculté d’adaptaztion des meilleurs. Tous ceux qui prétendent le contraire sont des démagogues bêlants.

Au passage, je noterai que la suppression des notes est une idée très ancienne. Ferdinand Buisson, qui fut l’inspirateur des lois Ferry, se félicitait, vers 1890, que l’Ecole Alsacienne, à Paris, ait supprimé la note de son arsenal d’évaluation.
Mais savez-vous bienq qui va à l’Ecole Alsacienne ? C’est un réservoir à élites : les bons élèves peuvent, effectivement, se passer de notes. Le smeilleurs, même, s’en fichent complètement : ils sont, presque par naissance dans le système inégaitaire actuel, déjà au-dessus du lot.

Quant à ce que l’école sélectionne, en notant…
Une société a le système scolaire qu’elle mérite. L’école de la IIIe République correspondait à une France triomphante (Ferry, en dehors de l’école, fut un colonialiste enragé). L’école actuelle correspond à une France parfaitement décadente. Allez donc voir en Chine, en Corée, en Inde, partout où l’énergie est prisée, où la volonté de puissance est le critère, s’ils ont aboli le système de notation : ils noteront deux fois plutôt qu’une. Quitte à massacrer en chemin pas mal d’élèves.
Nous, dans notre souci de n’oublier personne en chemin, nous avons rabaissé le niveau de manière sensible. Saboter son école est un luxe de pays riches — et mourants.

À chacun désormais de savoir ce qu’il veut : l’abolition de la notation, dans notre système, équivaudrait à un renoncement à la qualification — ou plutôt, cela permettrait aux enfants des plus fortunés de s’entre-sélectionner, et aux enfants les plus déshérités de rester définitivement de l’autre côté du mur du ghetto. Qui ne voit que la note est le dernier facteur de promotion sociale ? Qui ne comprend que, si on supprime la sanction, on supprime aussi la récompense ?
Qui ne comprend que la caste au pouvoir (pas même la « bourgeoisie » dont Bourdieu décrivait le système de « reproduction » dans les Héritiers, mais une infime fraction, qui se perpétue par cooptation) a trouvé, avec l’abolition des notes, la dernière arme pour assurer sa mainmise sur les instances de pouvoir ?
Qui évaluera les gosses des quartiers sensibles, si on supprime l’instrument d’évaluation ? Eux-mêmes ? Allons donc !

La note est un facteur démocratique — et c’est une évidence : on note de manière égale des copies anonymes, dans les examens. C’est un couperet, peut-être, mais c’est un couperet égalitaire.
C’est même le dernier refuge de l’égalité. Supprimez les notes, et vous supprimerez ce qu’il reste (pas grand-chose !) de l’ascenseur social.

Un dernier point qui n’a rien à voir avec ce qui précède.
Le recteur de Montpellier, Christian Nique, vient de faire savoir, hier vendredi 10 février, par communiqué de presse, qu’il interdisait tout recours à la méthode globale.
Autant préciser : cela couvre aussi tous les exercices à esprit global des méthodes « mixtes ». Qu’on se le dise, qu’on le répète : les parents ont désormais le droit d’exiger que les instituteurs de CP enseignent selon des méthodes alphabétiques.

Sur ce, bonne fin de semaine à tous.

JPB