Et, lentement, Mélenchon s’enfonça.
Il avait déjà risqué la submersion, lorsqu’il avait défilé avec des islamistes qui le prenaient en otage consentant. La fréquentation de Danièle Obono ne lui avait fait aucun bien. Mais comme il arrive fréquemment quand on se croit lider maximo et que personne n’ose vous contredire, parce que votre mode de communication favori est l’éructation, Mélenchon a fini par se croire intouchable, et infaillible. Ainsi finissent en général les grands petits hommes.
Le 20 septembre dernier, pour le lancement de l’Institut La Boétie, l’inventeur de la France insoumise, se référant à Edouard Glissant comme s’il lui fallait absolument un gage antillais, a parlé de la nécessaire « créolisation » de la France. Il est revenu quelques jours plus tard sur ce concept dans une tribune pour l’Obs, en reprenant la référence à Glissant, qui définit la créolisation comme un « tissage d’arts ou de langages qui produit de l’inattendu. C’est, précise le poète, « une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. C’est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le désordre, l’interférence deviennent créateurs. »
Curieuse confusion entre métissage et créolisation. Cette dernière est, au sens strict, un processus linguistique, par lequel une langue parlée par une minorité dominante (le superstrat) s’incorpore des pidgins, des langages véhiculaires employés par tout ou partie des dominés — des substrats.
Tu suis, Jean-Luc ? Mais oui, après tout, tu as enseigné le français, même si tu fais semblant de l’avoir oublié quand tu parles dans le Ier arrondissement de Marseille — histoire de te mettre au niveau de tes interlocuteurs. Ou de ce que tu penses être leur niveau.
La créolisation est un processus impérialiste. L’anglais, par exemple, est un créole où le français parlé par une minorité d’aristocrates a absorbé le saxon des serfs. Tout comme le saxon, langue des envahisseurs des Ve-VIe siècles, avait absorbé le bas-latin parlé par le roi Arthur. Un processus fort long, et très violent, qui correspond à ce que les Anglais appellent les Dark Ages. La créolisation n’est pas une opération de tout repos.
Il arrive même que la langue de l’envahisseur, quand il amène avec lui des structures rigides et convaincantes, éteigne complètement les langues antérieures. Dans le « gallo-romain », la part gauloise était très faible, d’autant que la langue de Vercingétorix ne s’écrivait pas.
Les voisins de l’Empire romain, qui venaient goûter aux joies de l’Empire, s’ingénièrent d’ailleurs à se latiniser à toute allure — jusqu’au calamiteux Edit de Caracalla, en 212, qui réduisit à rien la nécessité de parler latin et d’accéder par le mérite à la dignité de citoyen romain.
Nous en sommes là : au lieu d’exiger que chaque migrant apprenne à parler et à écrire le français et se plie aux coutumes de la nation française, afin de s’intégrer au mieux, nous leur ouvrons désormais les bras indistinctement. En leur promettant qu’ils pourront vivre à leur convenance dans les ghettos que nous leur avons attribués.
N’en déplaise à Mélenchon, qui dans son internationalisme trotskiste a manifestement tout oublié de son premier métier, ce n’est pas à une créolisation que nous sommes en train d’accéder, mais à une mosaïque de communautés concurrentes. Parmi lesquelles se distingue une minorité combattive, dont les éléments les plus avancés rêvent d’imposer à la France leur langue, leur justice et leur religion. Bref, de créoliser effectivement le pays — à son avantage.
Ils n’ont pas eu besoin d’une nouvelle bataille d’Hastings pour l’emporter. Il a suffi que l’on cesse, à l’école, d’enseigner le bon français, et que l’on accepte, au nom de la « communication », n’importe quelle langue fautive. N’importe quel pidgin.
Demandez donc aux profs de Lettres — et aux autres — quelle langue parlent et écrivent les élèves de Sixième (par exemple) au bout de six mois de confinement et de vacances. C’est de la bouillie de français, dont les malheureux enseignants tentent malgré tout, parce qu’on leur a demandé de valoriser « l’expression » au détriment de la correction (un concept probablement sadique), de tirer quelque chose qui ne soit pas absolument négatif.
Ça ne date pas d’hier. Lorsque des Inspecteurs, en séance de formation d’enseignants dans l’Académie de Versailles, ont conseillé de ne compter qu’une demi-faute à un beau pataquès du genre « les arbres pousses », sous prétexte que le « s » de « pousses » montrait une conscience du pluriel « arbres », nous avons tous compris qu’il s’agissait d’un plan soigneusement réfléchi, alimenté par une idéologie anti-élitiste, pour annihiler le français. Parce que respecter l’orthographe et la grammaire, sachez-le, est un processus fasciste.
C’est tout ce que ces crétins ont retenu d’une leçon célèbre de Barthes, qui expliquait que la langue, par définition, « oblige à dire ». Mais c’est fini, désormais, le français devient phonétique, il se mélange à des langues elles-mêmes mal articulées, et le résultat n’est pas une créolisation : c’est une reddition en rase campagne devant les forces de régression culturelle.
Nous en sommes là. Soit nous réaffirmons, par une lutte impitoyable en classe et dans les médias, la prédominance du français, soit nous nous inclinons devant le volapük actuel, une langue agglutinante inarticulée.
Mais alors, ce n’est pas un créole unifié qui en sortira : c’est la guerre civile. C’est peut-être le but que poursuit Mélenchon, faute d’avoir un projet politique.
Jean-Paul Brighelli
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