Marcel Cerdan contre Tony Zale, 21 septembre 1948

Partons d’un peu loin…
J’avais huit ou dix ans, ma mère aimait Yves Montand, elle possédait un unique disque de sa vedette favorite, qu’elle se repassait en boucle. Et dedans, cette chanson qui parlait au jeune bagarreur que j’étais — « Battling Joe ».
Je me souviens encore des paroles :
« Battling Joe
Les dames disaient tout près du ring
 » Il est délicieux ce Battling « 
Et elles admiraient son moral
Sans penser qu’ les coups ça fait mal… »

La boxe, encore. Marcel Cerdan gagnait facilement ses combats grâce à son punch — cet ingrédient mystérieux grâce auquel les champions soûlent leurs adversaires… Mais si le match s’éternisait, il semblait ne plus s’intéresser à ce qui se passait — et encaissait de terribles dérouillées.
Son manager s’en ouvrit à un aficionado, un kiné du nom de Boris Dolto — oui, le mari de Françoise. Lequel lui proposa qu’il vienne avec son poulain déjeuner à la maison le dimanche suivant.
Le repas fut épouvantable, Dolto ne s’y entendait guère en cuisine. En revanche, après le café, elle prit le p’tit Marcel à part, et se fit raconter son histoire familiale — chez Dolto, tout se nouait dans l’enfance.
L’enfance du « bombardier marocain », comme on l’appelait, se résumait à ceci : pour l’entraîner à prendre des coups, son père l’attachait sur une chaise et lui cassait la gueule, six jours sur sept.
Comme ils allaient partir, elle prit à part le manager : « Au prochain combat de votre champion, quand vous le verrez tourner indifférent et commencer à encaisser une rouste, gueulez très fort : « Tu peux riposter, ce n’est pas ton père ! »
– Heu… Vous croyez, docteur ?
– Qu’est-ce que vous risquez à essayer ?

Et ça ne manqua pas. Au combat suivant, comme Marcel se prenait sa raclée, l’entraîneur, désespéré, lui cria : « Vas-y, c’est pas ton père ! »
Il se passa alors, dit l’histoire, une chose incroyable. Cerdan eut l’air d’avoir pris une décharge électrique dans les miches, il se rua sur son adversaire, le bombarda de ses deux poings et le laissa demi-mort.


Je pensais à cette vieille histoire il y a peu, en cherchant à comprendre les ressorts de la culpabilité — dont l’aspect fondamental est qu’elle ne repose sur rien de tangible. En fait, les masochistes cherchent à réactiver la faute originelle, et s’en font punir avec assiduité. Bien sûr que les coups, ça fait mal ! Mais le bonheur que l’on en tire justifie toutes les flagellations, et réactive la « faute » originelle — dont nous nous souvenons qu’elle est imaginaire, donc tenace.
On ne soigne pas un masochiste, sinon en allant tout au bout du bout, aux portes de la mort. Alors il peut véritablement renaître.
Evidemment, il faut avoir du tact…

Jean-Paul Brighelli

PS. Je sais qu’il est de bon ton aujourd’hui de critiquer Dolto. Mais j’aime en elle la femme qui eut l’idée sublime en 1962 — secondée à l’époque par son frère, Jacques Marette, alors Ministre des Postes et Télécommunications — de créer le Secrétariat du Père Noël, installé à la poste de Libourne. 1 430 000 plis et 181 200 courriels en 2007, les missives arrivant de 130 pays différents. Après tout, à Vérone, la municipalité a bien un service qui répond au courrier immense adressé à Juliette — celle de Shakespeare.
Il y a quelques années, un énarque imbécile (pléonasme ?) suggéra de supprimer cette institution, pour faire des économies de bouts de chandelle. Je pense à cet homme chaque fois qu’un « spécialiste » s’exprime sur un sujet économique — ce qui, par les temps qui courent, ne manque pas.

« La gouvernante », photographe anonyme, vers 1890.

7 commentaires

  1.  » Après tout, à Vérone, la municipalité a bien un service qui répond au courrier immense adressé à Juliette — celle de Shakespeare. »

    Un sujet de roman ( que je ne lirais pas forcément !) , l’histoire du type ( en fait ce doit être une équipe) payé pour écrire les réponses des lettres à Juliette ( mais si on comprend que des enfants écrivent au père Noël, personnage intemporel, qui est assez tordu pour écrire à un personnage supposé avoir vécu au 16 eme siecle ? )

    On pourrait inventer les réponses aux lettres à Machiavel. Ce serait une IA qui répondrait à des questions politiques…

  2. « prendre des coups ». Souvent,ceux qui disent « on a/j’ai pris des coups »… »en politique,il ne faut pas avoir peur de prendre des coups » sont assez fiers d’avoir encaissé. Edouard Philippe (ridicule en tenue de boxeur…) a dit: « je prends des coups, mais je peux aussi en donner ».

    Mais la jeune femme aux seins nus que fustige avec un fagot ( branches de bouleau ?) une « gouvernante » dirait-elle qu’elle prend des coups ?

    Le/la masochiste ne « prend pas de coups »;

  3. Et dedans, cette chanson qui parlait au jeune bagarreur que j’étais — « Battling Joe ».

    Les dames disaient tout près du ring
    » Il est délicieux ce Battling «

    Cela ,ça parlait au jeune bagarreur ? ou à une autre facette du personage ?

  4. En fait, les masochistes cherchent à réactiver la faute originelle, et s’en font punir avec assiduité. Bien sûr que les coups, ça fait mal ! Mais le bonheur que l’on en tire justifie toutes les flagellations, et réactive la « faute » originelle — dont nous nous souvenons qu’elle est imaginaire, donc tenace.

    a) On passe de « les masochistes » à « on », puis « nous » C’est une opération énonciative qui met en branle l’opérateur Mch/ Ns

    b) Culpabilité et masochisme;ce n’est pas la première fois que le Maestro nous en parle. Bientôt un opus théorique ?

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