À qui s’étonnerait de mon intérêt pour un blockbuster au succès annoncé, je rappellerai que ce n’est pas la première fois que j’évoque la série sur Bonnet d’Âne — et j’ai réutilisé cet article, quelque peu remanié, dans Voltaire ou le Jihad, qui vient de sortir. J’ai eu la curiosité de voir ce que Disney avait laissé d’idéologie dans une série qui évoqua jadis la guerre froide ou la montée des fanatismes.
Ah la la…
Je préfère prévenir loyalement mes lecteurs que je vais révéler des éléments-clés de l’intrigue (le mot est un peu fort). Mais comme on a tout compris dans les 10 premières minutes, ce n’est pas bien grave : au complexe d’Œdipe (Freud) se superpose cette fois un complexe d’Electre (Jung). Rien d’autre. Mais alors, rien.

On sait que le film de J.J. Abrams (qui ça ? Ah, l’immortel réalisateur de Mission impossible 3 et du reboot de Star Trek) est une pure production Disney, qui a racheté fort cher à George Lucas la « franchise » de la série. Fort bien. Encore fallait-il tuer le Père : eh bien, c’est fait — littéralement.
Mais ce n’est pas parce que les enfants s’autonomisent qu’ils valent quelque chose.
Ce qui frappe dès le début, et qui confine au comique durant tout le film, c’est la nullité des deux acteurs principaux — les petits jeunes. Même les robots ont plus de personnalité qu’eux. On respire enfin quand réapparaît Harrison Ford, qui à 73 ans reste crédible en homme d’action. Tout comme Peter Mayhew (qui ça ? Mais si ! L’acteur qui est dans la peau de Chewbacca, la grande créature poilue — le même acteur depuis les années 80, lui aussi est un jeune vieillard). Daisy Ridley (23 ans, toutes ses dents, pas une once de talent, mais bon, il fallait une femme au nom de la parité), John Boyega (23 ans — etc. — mais bon, il fallait un Noir au nom de la discrimination positive), ou leurs homologues de l’autre bord, Oscar Isaac ou Adam Driver, sont d’une nullité sidéralement sidérante. On en arrive à trouver du talent à Carrie Fisher (de retour avec une coiffure à peine moins alambiquée qu’en 1977) et à guetter le retour de Mark Hamill — qui apparaît in fine, forcément, il faut bien que Luke Skywalker ressuscite pour l’épisode VIII et que Daisy Ridley se passe son Electre.

Le problème, c’est que Harrison Ford meurt — l’Œdipe est là —, et qu’il ne sera donc pas présent dans les épisodes à venir. Où il ne restera que des petits jeunes très politiquement corrects : grand moment, quand un sous-fifre lance à Carrie Fisher « Mon général.… heu… pardon… ma générale ». C’est un film sponsorisé par Anne Hidalgo et Najat Belkacem ou quoi ? Une « générale », en français, c’est l’épouse d’un général.
Mais qu’attendre d’autre de Disney, l’entreprise au service des jeunes décérébrés — l’idée même que le Libéralisme avancé se fait des jeunes ? Du coup, il y a deux films en un : l’un destiné aux adolescents des années 1970-80, enfants du baby-boom, et l’autre aux bambins d’aujourd’hui, les enfants de McDo et de CocaCola.
Bien sûr, les deux plans existaient déjà dans les films « historiques » de George Lucas. Mark Hamill, Carrie Fisher ou Harrison Ford (déjà brillant quatre ans auparavant dans American Graffiti, en partance proche pour Apocalypse now) parlaient à la génération montante, Peter Cushing ou Alec Guinness aux grands anciens d’Hollywood et de la Hammer. Mais l’arrière-plan idéologique faisait tenir ensemble les deux morceaux de la dialectique.
Cette fois, c’est juste un collage — et ça se sent. Lawrence Kasdan, qui co-écrivait les scenarii de Lucas (et qui a réalisé de très jolis films « pour adultes », voir la Fièvre au corps, en 1981, où Katleen Turner séduisait William Hurt pour le pire et pour le pire), a été requis pour assurer la moitié « mûre », et J.J. Abrams se charge de l’entertainment. Et se libère au passage de son Œdipe personnel, car il est bien évident que Han Solo tué par son fils, c’est Lucas descendu par Abrams. Un peu de mise en abyme ne saurait nuire.

Encore un film sur le conflit des générations, direz-vous… Mais ce n’est pas Spectre, qui fonctionne sur un schéma identique, comme je le racontais récemment : ici, ce sont les bambins qui gagnent, à notre grand désarroi — et c’est tout ce qu’il reste d’idéologie dans ce film qui ne prend pas le risque de suggérer que les forces du Mal parlent arabe.
Cela dit, le divertissement est de qualité, les vols de vaisseaux conformes à l’esthétique Top Gun (« Mission accomplie, on rentre à la maison », dit le chef d’escadrille dans un mouvement de menton digne d’un Bush post-Irak), la suite se devine, le lancement est gigantesque et les entrées en salle suivront (encore que je l’ai vu dans une grande salle où trente personnes, et pas une de plus, cajolaient leur ennui). Bref, c’est un joli spectacle pour les fêtes. Mais décevant — encore que les fans absolus y trouvent apparemment leur compte, me disent-ils. C’est un antalgique de qualité pour se vider la tête : attendez peut-être le lendemain des fêtes, quand vous serez gavés, afin d’avoir au moins un bon prétexte pour vous assoupir chaque fois qu’entrent en scène les deux insupportables héros.

Jean-Paul Brighelli, du côté obscur de la Force.

42 commentaires

  1. Dans les années d’après 68, on opposait la loi et l’ordre de l’Empire au règne de la bricole, de la licence, de la liberté native et du désordre linguistique de l’Alliance.
    Le capitaine Solo était un brigand qui faisait du piratage stellaire, un forban des astres, on élevait le corsaire au rang de demi-dieu.
    Aujourd’hui on criminalise le pirate informatique … on normalise à tour de bras et on assèche le vivier !

    Mais l’humanité n’a pas dit son dernier mot ! Il est des exils stellaires dont on revient, des blocs de carbonite dont on se réveille … des Bataclans finaux pleins de bruit et de fureurs ! La grande glaciation n’est pas pour demain.

  2. J’écrirai un jour mes « Récits des temps Brighelliens » au moment où la France était sous le trident de la menace fantôme ! C’était le commencement …

  3. Quand le général est une femme, on dit « Général », et non « ma générale », car « mon » est l’abréviation de « monsieur le ».

    Eh non, malgré leur inutilité après mon année de troufionage, je n’ai pas oublié les leçons de l’adjudant-chef Blondela.

  4. Le rachat par Disney laissait envisager encore plus de guimauve mais même avec tous ces avertissements
    et avec tout le matraquage médiatique, j’irai le voir quand même à reculons…par obligation culturelle geek.
    Un pote m’a dit que c’était juste un reboot déguisé avec un enrobage fan-service. Ça aurait pu être bien pire, mais avec Disney dans les pattes, JJ Abrams pouvait-il faire autre chose ?
    De toute façon, il parait qu’il est déjà menacé de crucifixion par les fans de Star Trek et qu’il ne sera pas à la manoeuvre
    dans les épisodes suivants.
    Autre curiosité de la critique « psittaciste », Star Wars VII a droit à une note de 4,2 chez Allociné, 7,5 chez Sens Critique et 8,9 chez IMDb.

  5. Je reviens un court instant sur mon gouvernement provisoire établi dans le précédent billet. Un certain nombre de commentateurs n’apparaissent pas dans l’organigramme de ce gouvernement d’Union Tricarde Brighelienne dont Sysiphe, thdo, etc…qu’ils me pardonnent en leur donnant le titre d’ « éminences grises » ou … de « fusibles » dans le cas où ça tournerait mal pour eux.

  6. « Mais en attendant, je conseille à tous les enseignants de collège appelés à participer à ces mascarades de signaler à la FCPE, qui est singulièrement revendicatrice en ce moment, après avoir l’année dernière approuvé cette réforme (mais entre-temps, sa direction a été débarquée), tous les cours supprimés dans le cadre de ces formations » dit Brighelli dans Le Point.
    Je ne suis pas du tout sûre que ce soit un bon conseil. Quand la FCPE sera entendue sur ce point, l’administration aura beau jeu de contraindre tous les enseignants à subir le formatage pendant une partie des journées dites libres, celles pendant lesquelles on occupe notre liberté à corriger des copies et à préparer des cours dignes de ce nom.
    PS: La proposition d’EPI maths/français m’ a beaucoup plu …

    • « des journées dites libres, celles pendant lesquelles on occupe notre liberté à corriger des copies et à préparer des cours dignes de ce nom. »…
      Veinarde !

      • N’est-ce pas ? Mais je vous rassure, on entrecoupe les corrections de copies par de folles virées en scooter avec de la musique italienne à fond …

  7. Finalement le Duc de la Force, l’oncle du Cardinal de Retz c’était Brighelli ! Tu es démasqué … et si tu ne viens pas à Lagardère c’est Lagardère qui viendra à toi !
    Mais je m’égare …

  8. Pas vu encore mais il est extraordinaire, cher JPB, que votre récit colle millimétriquement à l’idée que je me faisais de cet épisode de la saga Star-Wars.
    J’ai même craint un film façon Avatar, avec un coté tantrisme écologique… que vous ne décrivez pas. Ouf !

  9. Faut-il s’étonner si l’étron numérisé de Disney a inspiré la campagne de pub du Moloch pour le recrutement d’animateurs tombés de l’espace ?

    D’Igen Yoda l’instruction tu exécuteras

    A une vie de sacrifice tu te prépareras

    Les possessions matérielles tu mépriseras

    L’attachement émotionnel tu rejetteras

    Au frontal l’activité actionnalisante tu préfèreras

    L’Osservatore Pedago quotidiennement tu étudieras

    Jipébé le coté obscur de la force tu combattras

    Sans te faire pénaliser Dark Maul tu effondreras

    Du Conseil de Réaffectation la fin de ton tézèdariat tu espéreras.

  10. Traître infâme, vil suppôt des nervis bobobsessionnels qui nous infligent leurs analyses alambiquées et pseudopsycho d’un pur instant de distraction!
    Bien évidemment, je n’ai pas lu ton article! J’y vais demain.
    On critique, on taille des croupières, on dégoise sa haine primaire du ciné amerloque…mais on emploie des expressions en passe de faire partie du patrimoine culturel mondial, telle que  » le côté obscur de la force », hein?!
    Que Noël soit avec vous, bande de petits padawans!

  11. Euh… Si mon souvenir est bon, en V.O. il y a confusion entre « your highness » et « general » de la part de celui qui s’adresse à Leia, soit juste un problème de titre et de situation, pas de soucis de traduction normalement… A croire que le Politically Correct est plus un présent chez nous qu’outre-Atlantique désormais…

    • Eh bien ça ne m’étonnerait pas.
      Mais d’après une amie qui l’a vu aussi en VO, le même rectificatif « général / générale » a été adopté dans les sous-titres pour traduire l’hésitation.

  12. Comment dire… je me considère comme très, très grande fan, au point d’avoir un bon nombre de livres, BD, etc, sur la série… et je suis ressortie du ciné en pensant que, passée la très bonne première demi-heure, ce film n’était qu’une sombre bouze marketing…
    Et là où je ne suis pas d’accord avec JPB, c’est que justement, j’ai trouvé Harrison Ford très mauvais…

    • Bof, tous ces gens qui se précipitent par troupeaux pour aller voir un film grand spectacle et dire après que finalement , il n’est pas terrible … Remarquez, je trouve ça commode, entre les cinémas et les grands magasins où ils s’entassent dans une atmosphère d’excitation débile comme si le voisin allait leur piquer le dernier truc qu’ils veulent acheter, on est tranquille sur les sentiers de randonnée. Il n’y a personne. Alors, oui, en fait, je suis pour Star Wars.

      • Pas la peine d’être méprisant. On a le droit d’aimer profondément « Star Wars » et de ne pas être un débile inculte, tout comme on a le droit d’apprécier un Mc Do ET un restaurant gastronomique.

  13. Aujourd’hui, je vais chez mes parents dessiner les plans de la crèche de Noël, avec des santons centenaires achetés sur la Canebière à la foire aux santons de Marseille et transmis de générations en générations. Un vrai travail de paysagiste digne
    d’un architecte du Quattrocento, il faut jouer sur les lignes de fuite, les perspectives, compte tenu de la taille des personnages pour concentrer in fine le regard sur le Doux Jésus, comme celui que mes géniteurs posent sur moi depuis 29 ans avec une incongruité rassurante.
    J’aime cette chronique de Bethléem, cette fable où un bon Père protège ses ouailles des méchants, cette virginité transcendante qu’il faut assumer pour être un bon crétin (pardon, un bon chrétien), les regards torves de sénilité pédophile des Rois Mages comme s’ils suivaient les résultats des régionales, tout ce petit monde rassemblé autour de la Force qui fait dire à l’âne-convecteur: « asinus asinum fricat ».(*)
    Quand on connait la fin tragique de ce Sémite qui a perdu la tête au point de se prendre pour le Fils de Dieu, le Nouveau Testament aurait intérêt à se penser comme une variante de la logique floue, et délaisser le vrai/faux pour des degrés de vérité.
    (*) « asinus asinum fricat » en banderole à l’entrée des cinémas projetant Star Wars dirait Sanseverina un peu bougonne ce matin.

  14. Les « starwars » des années 70 étaient des daubes intergalactiques, aussi stupides que le jeu vidéo « space invaders ». Pas de raison pour que Disney -qui est au ciné ce que le Mc Do est à la gastronomie- produise un truc plus regardable.

  15. Bien! Vu et apprécié, mais quelque peu déçu par le côté « remettez-en moi une louche » des épisodes précédents et le manque cruel de charisme des acteurs principaux, exception faite de la nouvelle Jedi assez mignonne à mon sens.
    Reste le plaisir d’une immersion dans des décors magnifiques, surtout au début, et des batailles spatiales selon la tradition!
    Un bon spectacle sans se prendre le chou avec des recherches de symboliques cachées, même s’il y en a sans doute ( le « premier ordre » d’évidence).

    Vingt-neuf ans c’est beaucoup et pas assez pour prétendre juger ses semblables, et pour cracher son fiel sur ses géniteurs coupables de christianophilie.
    En adepte de la logique floue ou que sais-je, vous devriez ôter vos oeillères et faire une bonne mise au point…
    Joyeux Noël!

  16. Cher Jean-Paul Brighelli,

    Allez voir le film en V.O. et refaites votre papier !
    Vous changerez certainement d’avis sur le piètre jeu des acteurs et vous vous apercevrez que votre histoire de « politiquement correct » sur le ou la général(e) n’a pas lieu d’être. Il s’agit en fait de savoir s’il faut appeler Carrie Fisher « général » ou « princesse », rien à voir donc avec les belkacemeries !
    Plus généralement, je m’étonne qu’un homme de culture comme vous aille voir des œuvres en V.F. méconnaissant ainsi le principe « traduttore traditore ». En V.F. même « Breaking bad » est nul !
    Et sans faire injure à vos racines italiennes, arrêtez les scenarii ! Quand on est, comme vous, partisan de l’assimilation, on sait bien que scénario a été adopté par la langue française et s’écrit donc scénarios au pluriel. Est-ce que vous dites « pizze », raviolo ou lavabimus ?

  17. Pire que tout, le film est, apparemment, uniquement en 3D. Je n’ai pas trouvé un ciné qui le projette autrement. Fin de saga pour ma part, du moins en salle.

  18. Enfin la version 2D est en salle (la où que je réside comme dirait l’autre), j’ai donc vu le film.
    Moins de numérique, surtout comparativement aux épisodes 1,2,3. Retour aux décors et maquettes. Ce film se rapproche du tout premier en terme d’image. Un scénario qui n’est que la mise en place d’une suite que l’on devine sans fin, une réalisation poussive, de jeunes acteurs sans charisme, de vieux acteurs qui à eux seuls ont tenu cette version en l’air, assurant la transition, même si H. Ford en fait des caisses.
    Disney a vu juste, ils flinguent Solo (H. Ford), gardent Leia (C. Fisher) qui peut ainsi devenir une très très vielle princesse qu’ils pourront ressortir selon les besoins comme marqueur identitaire de la saga, Luc Skywalker (M. Hamill) qui va remplacer maître Yoda. Le décor est donc en place pour les prochains Opus.
    Star Wars n’avait plus rien à dire depuis longtemps, sinon combler un vide identitaire et affectif de millions de personnes de part le monde.
    C’est une licence, sans âme, avec des héros fades mais remplaçables selon l’humeur de la production (les vrais héros sont les décors ! Disney a parfaitement compris et intégré cette évidence).
    Star Wars, résume sur bien des points la platitude de notre époque. Il n’offre même plus du rêve mais seulement un moment de distraction. C’est bien le pire… Mais comment s’en étonner ? à notre époque où pour répondre à des Kalachnikovs, les gens résistent aux terrasses des cafés, allument des bougies et dessinent des petits cœurs. Société compassionnelle qui ne se nourrit plus que d’émotion, l’histoire ayant disparu du décor car elle demande un minimum de culture, ce que notre (nos, de part le monde) école combat avec acharnement.

  19. En espagnol, la traduction a été:  » Princesse….euh non général ».
    La traduction française est donc mauvaise.

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