Des femmes manifestaient donc hier dimanche sur le Vieux-Port — 2500 personnes, en comptant les curieux sur les trottoirs. Pas mal pour une ville de 900 000 habitants.
Jeunes, pour la plupart, éduquées, petites bourgeoises ulcérées, soutenues par tout ce que la sociologie institutionnelle pouvait offrir de belles consciences enrubannées, bref, tout ce que l’on attend d’un pareil défilé. Et pas une femme voilée dans une ville où elles sont pourtant majoritaires : les vraies victimes de l’oppression n’étaient pas là. Pourtant, on pensait à elles.La lutte était (forcément) intersectionnelle, et les références au voile nombreuses. Ces jeunes filles cultivées ont cru s’apercevoir que « voile » était l’anagramme partiel de « viol », et au lieu d’en tirer la conclusion évidente qu’imposer le voile est une forme de viol, elles préférent le revendiquer — l’ultime liberté de la femme étant sans doute d’être esclave.
Les slogans griffonnés sur les banderoles et les bouts de carton annonçaient la couleur. Références à Adèle Haenel,
Le malheureux Polanski était conspué comme il se doit, avec des jeux de mots cinglants ou des allusions transparentes.À les en croire, la peur va changer de camp. Les juges qui en France ne sont pas tendres pour les violeurs se le tiendront pour dit. La prochaine fois, ils ordonneront la castration à froid : il régnait sur ce défilé une odeur de lynchage.
De toute façon, il n’y en avait quasiment que pour les lesbiennes, venues en masse. Sainte horreur des « cisgenres », un joli mot pour désigner celles et ceux qui sont conformes à leur biologie de naissance, ablation du pénis, et slogans énigmatiques sur les horreurs que l’on infligerait aux homosexuelles.
Sans que jamais aucune de ces organisations charitables n’aient un mot pour Mila. Mais voilà, elle n’est pas assez « intersectionnelle ». Comme le rappelle Caroline Fourest dans Génération offensée, dont je parlais récemment, Houria Bouteldja explique à qui veut l’entendre qu’être violée par un individu « racisé », ce n’est pas vraiment un viol. On a bien vu à Cologne et ailleurs en 2016 ce qu’il en était — ou place Tahrir au Caire de 2012 à 2014. Parlez-en à Caroline Sinz — entre autres — qui n’a même pas été autorisée par sa chaine à se plaindre. Trop hard. Trop stigmatisant.
Il y avait de tout — avec une revalorisation marquée du bas du corps qui aurait fait plaisir à Bakhtine… Curieux quand même, ce côté fécal.Y compris, puisqu’on est à Marseille, en version provençale. Quitte à arborer de jolis colifichets — c’était parfois un vrai défilé de mode, ces jeunes filles violentées sortant d’un bon milieu qui a les moyens, et ce n’étaient pas les considérations marxistes qui les encombraient, ni les soucis de salaires, pourtant essentiels, ni leurs retraites à venir —, elles auraient dû s’enfiler doigt ou au poignet un Kin no unko japonais…
Le patriarcat en a donc pris pour son grade, mais sans que jamais ces jeunes filles attaquent (curieux, quand même, dans cette ville) les vraies sociétés patriarcales. Il était beaucoup question de « chattes », de menstrues, et de masturbation. Et de pères peloteurs — forcément peloteurs. En vérité, évitez donc, messieurs, de faire des câlins à vos enfants, ils vous le reprocheront vingt ans plus tard.
Nous allons vers des rapports humains compliqués. Sans doute serait-il plus simple de cesser de faire des enfants.
Je désespérais de trouver quelque chose de neuf dans ce grand déballage — qui a fini en mégateuf improvisée, festive et tout ça — quand en remontant la Canebière je suis tombé sur une manif bien distincte de vraies femmes en lutte. Des Kurdes qui protestaient contre la mort, sous les balles de Syriens inféodés au pacha criminel d’Ankara, de Hevrin Khalaf.Des guerrières — des « guérillères », aurait dit Monique Wittig, qui était une vraie féministe, elle.Des femmes qui sur le terrain prennent les armes, risquent effectivement leur vie, tuent ou sont tuées. Des femmes que les djihadistes d’Al Qaida craignent comme la peste, car être tué par une femme, paraît-il, empêche d’aller au Paradis d’Allah pour se taper des vierges toujours vierges — un cauchemar, quand on y pense. Celles sur lesquelles Caroline Fourest a tout récemment réalisé Sœurs d’armes. En allant sur le terrain.De vraies femmes en lutte. Pas des petites bourgeoises gâtées.
Ça m’a fait du bien, tiens.
Jean-Paul Brighelli
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