Le traitement médiatique du mouvement des « gilets jaunes » réserve une large place aux « débordements » et « violences » accompagnant certains blocages.
A lire et entendre ce que l’on voit et écoute, on pourrait croire que Castaner a raison et que l’on assiste réellement à une radicalisation du mouvement.
Le terme de radicalisation a des connotations spécifiques puisqu’il renvoie, dans le lexique actuel, à la thématique du djihadisme. Il permet donc, sans subtilité aucune, d’établir une insidieuse relation entre « gilets jaunes » et terroristes islamistes.
Or, ici, le terme de radicalisation est employé sans guillemets :
Tandis que là, le petit « (aussi) » insiste sur la nécessité de contrebalancer l’importance du mouvement : la mobilisation n’est pas seulement un succès, elle est aussi émaillée de déviances. Pardon, de « dérapages » (ben oui, quand même : langage journalistique de base).
Voici un article du Monde formidable, puisqu’il illustre à merveille une théorie célèbre de pragmatique du langage, selon laquelle toute négation fait exister l’énoncé adverse en même temps qu’elle le réfute. Dire « tu n’es pas idiot », c’est reconnaître qu’on a pu dire ou envisager l’inverse. Je laisse mon lecteur appliquer ce principe à l’assertion suivante (et l’invite à noter que c’est cette citation que l’on a propulsée au rang de titre) :
Le mouvement des « gilets jaunes » présente, en fait, les mêmes débordements que tous les mouvements de masse. Dans la mesure où il y a partout des gens violents, racistes etc., il est normal qu’on en trouve parmi les « gilets jaunes ». Peut-on vraiment caractériser un mouvement social à partir d’anecdotes du type : « à Bourg-en -Bresse, un couple homosexuel agressé », ou « à Cognac, une femme noire victime de propos racistes » ? « Un », « une »: comment ne pas voir dans le fait même d’ériger en gros titres ces incidents une volonté de discréditer le mouvement ?
Quand on lit l’article du site FranceTVinfo, on se rend compte qu’un seul type d’agression figure à deux reprises dans l’énumération: les attaques contre les journalistes. Ne peut-on pas penser que c’est cette animosité-là, bien plus qu’un prétendu racisme ou une prétendue homophobie de fond, qui justifie le discrédit que les médias tentent de faire peser sur le mouvement ?
On devrait même s’étonner que ce mouvement ne se soit pas « radicalisé » dès l’instant où une manifestante a été tuée. Sans doute avait-elle mérité son sort. C’est ce que l’on doit croire quand on voit la différence de traitement entre ce décès et celui du motard tué à l’approche d’un barrage, bien plus commenté. Un titre comme celui-ci est de la pure manipulation :
Cela rappelle les bilans des batailles en Syrie : on donne un chiffre global qui efface toute différence entre les morts de l’armée d’Assad, les morts civils et les soldats de Daesh et l’on insiste, dans l’article, sur la cruauté de Bachad al Assad. Implicitement, toute la culpabilité du gros chiffre pèse sur lui seul. C’est pareil dans le cas présent. Et la première phrase de l’article vaut son pesant de cacahouètes :
La première personne qui a perdu la vie était une manifestante, la seconde est un motard renversé par une camionnette qui essayait de s’extraire d’une file de véhicules bloqués. Mais la présentation des faits place les gilets jaunes en position d’assassins, ni plus ni moins.
N’oublions pas, pour conclure, de rappeler le pouvoir performatif de la parole médiatique. Un mouvement n’a pas besoin de se radicaliser pour qu’on dise qu’il se radicalise. En revanche, le meilleur moyen de le radicaliser, c’est de dire qu’il se radicalise.
Que font l’armée et la police contre ces salauds de pauvres, ces pue-la-sueur, ces sans-dents, ces loqueteux, ces va-nu-pieds ? Elles sont là depuis toujours pour protéger les riches ! Qu’elles ouvrent le feu pour calmer ces faquins !
Ce que n’ont pas compris les journalistes (ni les LREM), c’est que les gilets jaunes ne sont pas radicalisés, mais désespérés.
Désespérés car acculés. Cette énième augmentation n’est pas qu’une question de fiscalité, c’est le fait que les élites veulent une société où ils n’ont plus leur place que sous la forme d’exclus, un forme de bidonville à la campagne, où ils ont juste le droit de survivre, loin du confort des urbains.
Avec tout autant d’arrogance que notre gouvernement, Hillary Clinton les aurait traités de « déplorables »…
Bravo, Ingrid! Comme d’habitude, vous avez l’oeil. Une fois de plus, nos chers médias montent au créneau pour défendre la bonté, l’humanisme, et les modernes contre les hordes sauvages et illettrées. Que deviendrions-nous s’ils n’étaient pas là?
Sur un autre plan, que pensez-vous de l’arrivée tonitruante et pour tout dire bienvenue de Natacha Polony à Marianne?
Merci pour cette belle analyse. J’ai aimé en particulier, d’une part, votre observation sur le mépris affiché par la majorité des journalistes à propos à la fois des Gilets jaunes et de leur révolte de « ploucs moins-que-rien » et, d’autre part, le parallèle que vous faites — et que beaucoup jugeront sans doute déplacé et inapproprié alors qu’il est très précisément pertinent — avec les comptes rendus systématiquement biaisés des effroyables pertes humaines subies dans tous les camps en Syrie… du fait bien entendu d’un seul et même coupable!
L’arrivée de Natacha POLONY à MARIANNE revigore le magazine en le plaçant clairement et fermement dans l’opposition affirmée à la pensée unique (si si, ça existe encore!) et à la terrible doxa économique qui nous enferme dans un système non seulement terriblement injuste mais également suicidaire. Elle est donc plus que bienvenue; elle est SALUTAIRE.
Lundi 19/11/2018 La Dépêche de Toulouse titre :
Edouard Philippe assure avoir entendu «la souffrance» mais «nous allons tenir le cap»
Entendre c’est comprendre, prendre en soi la souffrance d’autrui, avoir conscience de l’altérité, de l’autre, et connaître, vivre en soi l’empathie et la volonté de partager.
Si le 1er sinistre avait véritablement « entendu », il n’aurait pas affirmé persister à « tenir le cap ». Son affirmation confirme le mépris, des élus de tous bords, pour le peuple qui doit se soumettre à leurs diktats, qui n’existe que pour financer les délires mégalomaniaques de toutes les franges et fanges politiques.
Le comportement de ces politiques est celui égocentrique d’un enfant immature qui rêve et se persuade que ses parents qui le nourrissent, l’habillent, le protègent, sont à l’entière disposition de ses caprices… jusqu’à ce qui doit arriver : la fessée et les pleurs qui s’ensuivent avec au pire la colère du « quand je s’rai grand, ils verront » et au mieux la prise conscience du « si j’avais su, j’aurais pas v’nu et je s’rai resté sagement à ma place… à écouter et entendre ».
Comme toujours Chère Ingrid Riocreux, merci pour le fond et la forme !
C’est un réel plaisir de vous lire.
Merci de nous faire partager vos réflexions pertinentes et de qualité.
Dans l’émission de Sonia Mabrouk, les voix de l’info sur CNews du 21 novembre, j’ai entendu un invité, présenté comme communiquant, c’est dire s’il est compétant, affirmer qu’il n’avait pas vu beaucoup de pauvres dans le mouvement. Je pense que cette réflexion mérite un développement important car on peut constater par ce biais l’instrumentalisation de cette catégorie indéterminée, par le pouvoir et ceux qui les entourent. Cette assertion m’a choqué car elle est emblématique de la fracture qui mine notre pays où les smicards sont considérés comme chanceux par nos « élites » parce qu’il existe des pauvres. Avec ce type de réflexion on peut ainsi affirmer que nos pauvres sont bienheureux en France parce qu’il existe des plus pauvres dans des pays autres.
C’est ainsi que l’on arrive à promettre aux gueux qu’ils seront les premiers dans le royaume des Cieux pour que les vrais nantis puissent bénéficier tranquillement de leurs privilèges.
Bien que cela fasse très « Sapeur Camembert » mon cher papa adorait dire que lorsque l’on a tout perdu on n’a plus rien à perdre.
Il savait de quoi il parlait, il était Gendarme.
Il me parlait assez souvent d’une manifestation à Alger dans les années 60. Les manifestants avaient tout perdu et plus rien à perdre.
S’il s’agit ici de rappeler (comme dans la conclusion) la dimension performative du langage médiatique nous serons d’accord, et celà mérite en effet d’être redit…néanmoins l’article me semble un peu dans le forçage interprétatif, sans doute pour la nécessité de la démonstration…
BFM TV, 25 novembre 2018, 21 h 21 :
Laurent Neumann : « Les gens ne sont pas stupides, contrairement à ce qu’on pense. »
20h21