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D’après les médias, la circulation des armes est seule en cause dans les tueries de masse.

« Il nous faut mettre un terme à la glorification de la violence dans notre société, présente notamment dans les jeux vidéo sinistres et atroces ». Cette phrase de Donald Trump a eu l’effet merveilleux, quoique fort insuffisant à mon goût, de faire perdre 4 milliards de dollars en une journée à l’industrie du jeu vidéo.

Cette information elle-même est présentée d’une manière qui mérite d’être commentée :

« Donald Trump s’en prend aux jeux vidéo :  l’industrie du jeu perd 4 milliards de dollars en une journée »

J’ai déjà montré ici que l’expression « s’en prendre à » renvoie toujours, dans le langage médiatique, à une réaction épidermique et illégitime.

Variante :

« Trump se défausse-t-il sur les jeux vidéo ? »

La conclusion du débat est laissée au journaliste spécialiste des nouvelles technologies et du numérique (le geek de l’équipe, donc) : le danger des jeux vidéo est une « légende urbaine ».

Le titre étant en forme de question, on ne peut pas affirmer d’emblée le parti pris médiatique. Mais imaginons l’effet produit par une autre question qui aurait servi de titre au même débat : « les jeux vidéo sont-ils la cause de comportements violents? » C’est ce qu’on appelle de fausses questions. Et quand une fausse question sert de titre à un débat, c’est un faux débat.

Et de fait, les réactions à la phrase de Trump sont toutes caricaturales parce qu’elles partent du principe qu’il rend les jeux vidéos responsables de la violence d’une manière exclusive. Or, c’est la glorification de la violence qu’il condamne, dans laquelle (« this includes ») les jeux vidéo jouent, selon lui, un rôle majeur. Il en appelle à un changement culturel, bien au-delà d’une lutte contre les seuls jeux vidéo :

We must stop the glorification of violence in our society. This includes the gruesome and grisly video games that are now commonplace. It is too easy today for troubled youth to surround themselves with a culture that celebrates violence. We must stop and substantially reduce this and it has to begin immediately. Cultural change is hard but each of us can choose to build a culture that celebrates the inherent worth and dignity of every human life. That’s what we have to do.

Ce qu’on peut lui reprocher, c’est donc de paraître vouloir limiter le problème aux jeux vidéo en passant notamment sous silence le danger que représente la circulation des armes à feu. Mais la stratégie des médias est tout aussi pernicieuse, qui semble vouloir concentrer exclusivement le problème sur la question des armes, en exonérant de toute responsabilité les jeux vidéo. Or, on peut considérer que, si la possession d’armes est le moyen qui permet ultimement le passage à l’acte, le jeu vidéo peut, dans un esprit dépourvu de toute formation morale, fournir l’idée, faire naître le fantasme, bref, concourir pour une petite ou une grande part, à l’initiative du geste fatal.

Ainsi, L’Obs ne s’embarrasse pas de débat et répond à Donald Trump : « Non, non et non, Donald Trump, les jeux vidéo ne créent pas des tueurs de masse ». Caricaturons la position de l’adversaire et répondons-y de manière caricaturale, tel est le choix du rédacteur de ce texte. Il faut lire cet article où l’on croit nous rassurer en nous expliquant que les parents sont si attentifs à la consommation de jeux vidéo de leurs enfants qu’ils jouent même avec eux ! Au secours. Mais pardon, les jeux pour adultes se vendent moins bien que les jeux de foot ou de course automobile, précise-t-on. OK: nos jeunes sont juste totalement abrutis, mais ils ne sont pas violents. Ouf.

Pas besoin d’être un spécialiste pour constater que même les petits jeux débiles auxquels nos jeunes jouent sur leur téléphone suscitent nervosité et agressivité. Sans compter qu’ils y perdent la maîtrise de leurs doigts au point de ne plus pouvoir tenir un stylo. Mais revenons à Trump et à nos journalistes.

Notons deux éléments du discours médiatique antérieur qui entrent en contradiction avec le traitement actuel des propos de Trump  :

1) alors qu’on parlait encore récemment du « lobby des jeux vidéo » (mais il est vrai qu’il ne s’agissait pas, à l’époque, de contredire Donald Trump), la notion de lobby est désormais réservée au camp des armes à feu.

L’expression « lobby des jeux vidéo » a été amplement employée, en particulier,

_ quand Obama lui-même avait réclamé une étude sur la relation entre jeux vidéo et actes de violence. Exemple ici :

obama video gamesObama video games 2…mais lorsque Trump défend le même postulat qu’Obama, la notion de « lobby des jeux vidéo » disparaît. Et la ligne de défense adoptée par ce groupe de pression devient la doxa officielle.

_ quand l’OMS, en juillet dernier, tout récemment donc, a classé l’addiction aux jeux vidéo dans la catégorie des maladies graves:

jeux vidéo

2) la relation de causalité entre jeux vidéo et passage à l’acte était une thèse défendue par les médias eux-mêmes à propos des djihadistes, dans la série des arguments contre « l’amalgame ». Les terroristes sont des déséquilibrés… et des « gamers » (on dit comme ça). France Info avait traité le sujet en 2014 :

jeux vidéo2

Il y a deux ans, le Club de Mediapart publiait un article très intéressant, intitulé « Djihadisme et jeux vidéos », qui montrait, images à l’appui, la similitude entre certains attentats et des épisodes du scénario de GTA. Son auteur explique bien la stratégie de positivation du mal qui opère dans ce jeu:

Que signifient pour le joueur les corps qu’il fait passer sous ses roues ? Les autres, tous les autres, ne sont non des ennemis mais des pourvoyeurs de score.

Pour un esprit sain, c’est-à-dire chez un individu qui a reçu une éducation morale dans un cadre familial solide et structurant (mais assez lâche pour céder devant le caprice des jeux vidéo…), cette subversion peut demeurer sans effet, heureusement. Chez quelqu’un qui n’a aucun repère et passe ses journées devant son écran, c’est différent…

Enfin, rappelons qu’en mai dernier, un jeu vidéo avait très légitimement suscité la réprobation générale, y compris dans les médias : « Active Shooter » mettait en scène une tuerie de masse dans un établissement scolaire. Et il ne s’était trouvé personne pour dire qu’on ne pouvait établir aucun lien entre jeu vidéo et violence. A part le concepteur du jeu.

16 commentaires

  1. Comme d’habitude, Madame Ingrid Riocreux, met le doigt où ça fait mal; les vrais responsables masqués sous les apparences du jeu sont enfin démasqués; les prêcheurs de violence et leurs complices pleins de mansuétude sont clairement désignés.
    Merci Madame.

    Mais cela suffira-t-il pour ouvrir les mirettes des aveugles volontaires qui voient tout blanc en dédouanant Clinton, Obama de toute responsabilité, et, au contraire tout rouge dès qu’ils commentent les initiatives de Trump: il n’y a pas plus aveugle que celui, qui ne veut pas voir.
    L’aveuglement volontaire idéologique est une maladie congénitale du socialisme.

    Evidemment la perspective de plus en plus précise de la réélection de Trump rend furax tous ces idéologues migraineux et donne des boutons aux Clinton.

    • ouhlala !!! il est infiniment vrai que l’aveuglement volontaire idéologique NE PEUT qu’être une maladie congénitale du socialisme !!! Pinochet, Franco, et autres consorts vous êtes absous !!! Où le fanatisme idéologique de certains ne va-t-il pas se loger .
      Il existe un mot pour vous qualifier, qui n’est pas une insulte , mais le constat de ce que vous dites : crétin .

      • Et pourtant, A. Brunetti a raison : les dictateurs de droite sont des dictateurs à l’ancienne, peu idéologues. C’est pourquoi la transition vers la démocratie est beaucoup plus facile.

        Le crétin, c’est … Je m’arrête là.

        • M. Boizard a tout à fait raison et il suffit de comparer les ex-démocraties populaires avec l’ex-Allemagne nationale-socialiste ou l’ex-Italie fasciste. Lors de l’effondrement du communisme en 1990, que ce soit en Roumanie, Russie ou Bulgarie, les communistes recyclés en démocrates pour faire plaisir aux Occidentaux sont demeurés au pouvoir car il n’y avait aucun remplacement politique possible, tous les opposants ayant été exterminés. En Allemagne, on trouva Adenauer et, en Italie, la DC. On peut pousser l’exemple jusqu’à l’après-franquisme ou l’après-Pinochettisme – bien que leur parenté avec le fascisme soit plus discutable. Les gogos qui assimilent fascisme au communisme veulent faire oublier que le communisme arrivé au pouvoir est l’Etat et l’Etat le communisme. D’où l’éradication impitoyable de toute opposition. Sous le communisme, Adenauer aurait fini au Goulag et la royauté espagnole aurait connu le sort de la famille du Tsar. Monsieur Bloch est donc bien le crétin qu’il dénonce.

  2. Comme toujours lucide et pertinente, Ingrid Riocreux livre là une analyse complète et exemplaire de la manière dont nos médias malades d’antitrumpisme aigu rendent compte de l’information. Que ce soit sur France-culture, France-inter ou ailleurs à la TV et dans la presse Le Monde/Libération/l’Obs, on ale sentiment que tous ces journalistes ont été lobotomisés et passés par la même moulinette dès qu’il s’agit des migrants, de Trump, du racisme, des musulmans, des Palestiniens (qu’ils soient Rohingas ou Français) etc. La doxa officielle dont il est interdit de sortir, même le petit doigt.

  3. Ni le contenu violent ni le mode autarcique des jeux videos n’expliquent le passage à l’acte violent. Il faut regarder du côté de ce qui manque à une personnalité pour ainsi basculer dans l’irrationnel, plutôt que du côté des facteurs de déséquilibre. Ceux-ci sont trop nombreux et variés pour qu’on puisse un jour en tirer une politique efficace.

    Ceci dit, beaucoup de gens pensent probablement ce que dit Trump – et dans les mêmes termes, car il ne s’embarrasse pas de langue de bois. Il faut lui rendre hommage de cela. Il est bien dommage que les media aient une attitude pavlovienne à son encontre – le jour où il dira que le ciel est bleu, nul doute que les Inrocks ou Libé y verront une insulte à quelqu’un…

    • Parfaitement d’accord avec vous.
      Par le passé on a tenter de faire porter la responsabilité de la violence des jeunes sur les films violents, et bien evidemment on a abandonné… Et on oublie toujours le côté « positif » de la violence dans ces médias, qui peut servir d’exutoire, surtout le jeu vidéo d’ailleurs, après une dure journée de travail (je sais de quoi je parle).
      Mieux vaut-il rouler à 200 sur l’autoroute ou dépasser toutes ces limites dans le virtuel…?
      Alors affectivement, la critique à l’égard des médias est juste, c’est plutôt l’élément servant de support à cette démonstration qui me semble mal choisi.

  4. Par le passé on a tenté..
    en effet, parce que la France ne produisait pas encore de films où la violence pour la violence faisait parti du script, alors que l’Amérique n’y voyait qu’un reflet de la vie réelle..

    Elle s’est bien rattrapée et de façon insidieuse s’y est mise … parce que la violence fascine et même fait vendre: on en revient toujours aux attraits qu’a Mammon…

  5. Une phrase amusante dans votre analyse : «L’Obs ne s’embarrasse pas de débat et répond à Donald Trump : « Non, non et non, Donald Trump, les jeux vidéo ne créent pas des tueurs de masse ». L’Obs interpellant Trump, la Maison Blanche doit en être tourneboulée…
    Anecdote. Il y a longtemps de cela, l’éditorialiste d’un quotidien nord-américain avait conclu son papier par cet apostrophe : «Et que Staline se le tienne pour dit !» Les moustaches du petit père du peuple avaient dû en frémir.

  6. Bonjour,

    Je ne suis pas un habitué de la section « commentaires » étant plutôt lecteur silencieux mais je ressens là le besoin d’intervenir. Je ne suis pas non plus un amoureux de la ligne éditoriale du NouvelObs bien loin de là. Il est vrais que le propos de Trump est largement sur-interprété, mais ne le sous interprétons pas non plus.
    Il souligne exclusivement les jeux-vidéos dans son tweet. Les films ne le sont pas, pas plus que les séries ou la musique. Pourquoi uniquement cet exemple ? Est-ce purement anodin ? D’autant que la violence dans les séries de ces dernières années supplante largement les jeux vidéos notamment en termes de contenu sexuel.

    Il faudrait être naïf pour répondre oui. Le fait est que l’électorat de Trump préfère entendre parler de jeux vidéo qui glorifient la violence pour avoir un bouc émissaire à plomber (et taxer au passage bien sur) et s’en remettre à la gentille NRA plutôt que de se poser des questions qui fâchent. Le fait est également que la consommation de jeux vidéos et les tueries de masse ne sont pas corrélées (le Japon est le premier consommateur…). Enfin, il est important de rappeler que sur tout jeu vidéo, il existe des limites d’âge. Tâche aux parents de la faire respecter.

    Je trouve complètement hallucinant de parler de « subversion » du jeu vidéo, et de personnes « assez lâche pour céder devant le caprice des jeux vidéo… » dont je suis visiblement. Me voir traiter de lâche parce que je préfère jouer avec des amis plutôt que de me griller l’occiput devant la télé est proprement ahurissant. Les jeux vidéos sont une part entière de mes passes temps, et de la culture populaire que vous le vouliez ou non. Ils m’ont notamment appris à jouer en équipe, à mieux parler anglais ou à me passionner pour certaines périodes historiques. Je vous invite à vous renseigner par exemple sur l’excellente série des « Total War » qui reprennent des périodes historiques conflictuelles du monde (la Rome antique, les Trois Royaumes en Chine, le Shogunat japonais) pour les recontextualiser sur fond de géostratégie. Je joue aux jeux vidéos depuis que j’ai 3 ans, j’en ai bientôt 30 et je vais très bien, je fais du sport, je suis socialisé et bien payé.

    M’expliquerez vous du haut de votre tour d’ivoire en quoi je suis lâche ?
    Trump a été caricatural mais aussi caricaturé. Ayez la bienséance de ne pas en faire autant. Vous êtes visiblement incollable sur le sens du langage (ce pourquoi j’aime beaucoup les feuilles de votre blog très éclairantes). Le raccourcis opéré par les médias sur Trump n’a pas manqué de vous échapper. Je ne comprends donc pas comment vous arrivez à tomber ensuite dans la même facilité. J’ai lu sur cet article des choses justes mais également une condescendance de la part d’une très grosse franche de la population dite « gamer » essentialisée comme toujours.

    Jouer aux jeux vidéos est un LOISIR. Comme la télé, la lecture, le sport ou une soirée entre amis.

    • Un loisir? Telle que vous la décrivez vous-même votre occupation ressortit de l’addiction plutôt que du loisir.
      Mais peut-être votre propre description est-elle mal interprétée?

      • En quoi y voyez-vous de l’addiction ? Ou alors tout devient addiction. Le sport, aller à la messe, la lecture, s’informer, avoir des amis … toutes ces activités qu’on peut (ou pas) aimer pratiquer, et en général de façon récurrente, sont donc des addictions, et il faudrait alerter sur les dangers qu’elles représentent ?

  7. « Pas besoin d’être un spécialiste pour constater que même les petits jeux débiles auxquels nos jeunes jouent sur leur téléphone suscitent nervosité et agressivité. Sans compter qu’ils y perdent la maîtrise de leurs doigts au point de ne plus pouvoir tenir un stylo »

    Rhétorique d’une incroyable bêtise en associant l’usage d’une technologie à celle des jeux vidéos, avec en plus le mépris qui va avec..

    Ne prenez pas en compte le fonctionnement d’une société et les tendances qui vont avec sur le rôle de l’individu, mieux vaut avoir une vision dogmatique en reprochant une vision binaire avec des contre arguments binaire, bravo.

    C’est triste à dire, mais votre analyse n’apporte rien de concret, simplement une masturbation mentale de sa propre vision des jeux vidéos qu’une recherche sur son ensemble (autant que pour les armes que les jeux vidéos) on peut ainsi dire qu’un éboueur apporte bien plus d’utilité à la société que votre type d’argumentation.

  8. Rafraîchissant article, pour doucher les éditoriaux et commentaires brûlants de l’été.
    L’énergumène Trump aurait encore dégainé le premier pour tirer… sur la violence !
    Merci à l’auteure de nous livrer le making-of de ce nouveau western, où faute d’acteurs tous probablement en vacances, l’oncle Sam est chargé de jouer les deux rôles de « brute et de truand », face à ce vieux « bon », de bien-pensant.
    Remue-méninges salutaire, que de pointer du doigt que l’époque n’est plus à jeter son gant pour préserver son honneur, ou à provoquer en duel un quidam au rictus inquiétant.
    L’époque est de transformer la légitime violence en jeu de violence gratuite.
    On doit exterminer pour gagner.
    Et nous savons tous que pour gagner, il faut sacrément s’entraîner.
    Que peut-on attendre des champions ?
    Que peut-on attendre des challengers ?
    Trump, qui a bien connu les écrans, a du cran pour les défier, car il est seul face à une immense armée de « joueurs », se croyant non-violents.

  9. Juste pour dire : les jeux vidéos sont, en gros, les mêmes aux USA et en France.
    On peut donc comparer leur influence entre les deux pays.

    Il me semble que la différence, en terme de risque d’être victime d’un attentat ou d’une fusillade, est très importante entre les deux pays : le risque est nettement plus faible en France.

    Ceci n’exclut évidement pas que les jeux vidéos contribuent à la violence et facilitent le passage à l’acte.
    Mais ça prouve que ce n’est pas le facteur principal.

    Enfin le blog de Médiapart cité met sur le même plan le jeu vidéo ultra violent GTA et les romans de Tolkien.
    On pourrait aussi bien accuser Corneille. Par exemple « le Cid » peut-être lu comme une apologie de la violence : il donne une claque à mon père, j’ai le devoir de le tuer.
    En gros c’est la justification des terroristes islamiques.
    Et on enseigne ça en France.

    Je crois que l’on ne peut exonérer de toutes responsabilités ni le jeux vidéo, ni la littérature, ni le cinéma.
    Mais que les mettre en facteurs déterminants est une erreur.

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