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Bêtise et mauvaise foi.

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Deux condamnations médiatiques récentes au parfum de censure n’entretenant l’une avec l’autre aucun rapport a priori m’ont inspiré la même réaction de surprise, plus que de colère, tant elles prouvent le triomphe de la bêtise et de la mauvaise foi. Dans les deux cas, on accuse une fiction d’exprimer des idées odieuses… qui sont précisément celles qu’elle entend dénoncer. Autrement dit, cette fiction est critiquée pour l’inverse de ce qu’elle dit.

La première condamnation médiatique est formulée dans un article des Inrockuptibles intitulé « Pourquoi l’humour de la série culte H passe mal aujourd’hui ». Ce qui m’a fait cliquer dessus c’est déjà, justement, la formulation du titre. Il ne pose pas de question, il n’invite pas à s’interroger sur les ressorts de l’humour dans cette série. Non: il pose, parce qu’il la présuppose, l’évidence que cet humour « passe mal aujourd’hui ». Or, j’ignorais qu’il passât mal : j’ai découvert la série H assez récemment et son humour passe très bien auprès de moi.

Alors j’ai lu avec curiosité cet article, qui contient d’abord une longue concession: « indéniable talent de ses interprètes », « visibilité exceptionnelle de personnages principaux qui ne sont pas blancs », « saillies délirantes à la rythmique ciselée », « énergie constante », « capable de faire encore rire vingt-deux ans plus tard ». Mais alors, mais alors, qu’est-ce qui peut bien faire que cela « passe mal aujourd’hui » ? On nous l’annonce dès le paragraphe introductif : l’humour de cette série est « sexiste, misogyne et homophobe ». Ce qui amène Alexis Brunet, dans le dernier Causeur, à demander ironiquement s’il ne faudrait pas « euthanasier la série H ». Il faut croire que les lunettes idéologiques des Inrocks sont lourdement déformantes quand on lit les griefs formulés à l’encontre de H :

H s’avère très difficile à regarder aujourd’hui pour son traitement hallucinant des personnages féminins – qui passait tranquillement lors de la diffusion, apparemment. Les deux comédiennes principales, Sophie Mounicot (l’infirmière Clara Saulnier) et Catherine Benguigui (l’orthopédiste Béatrice Goldberg) font ce qu’elles peuvent. Elles se retrouvent la plupart du temps reléguées au rang de faire valoir comique, voire carrément de punching ball pour les blagues des autres.

Ce qui frappe, c’est l’agressivité misogyne récurrente et assumée de la série, sa manière de regarder les héroïnes mais aussi les personnages féminins invités. Il est assez rare que celles-ci puissent incarner autre chose que des cibles sexuelles ou des objets de dégoût, ramenées aux désirs des hommes et à leur apparence physique. On ne parle pas là d’une petite tendance isolée mais d’un état structurel, d’un pilier permanent du récit où l’effet “boys club” des hommes entre eux partageant leurs vannes nourrit une atmosphère problématique.

J’aime beaucoup l’expression « atmosphère problématique ». Elle est tout bonnement hilarante; il fallait l’inventer, vraiment.

Mais sans rire, parle-t-on vraiment ici de la série H ? Un « boys club » prenant les femmes pour « cibles » et qui ferait rire à leurs dépens ? C’est pourtant une évidence au bout de trois minutes de visionnage : les personnages ridicules, ce sont bien les trois principaux. Qu’il s’agisse de leurs stratégies de séduction ou de leurs vilaines blagues, H : Photo Jamel Debbouze, Karine Nuris - 17 sur 52 - AlloCinétout ce qu’ils entreprennent pour conquérir les femmes ou pour leur nuire se retourne contre eux. Eric Judor, Ramzy Bédia et Jamel Debbouze jouent sans complexe des rôles de débiles profonds, tellement stupides qu’ils en sont inoffensifs. Ils assument même un sens certain de l’autodérision, tant sur leur physique que sur leurs origines ou, chose de moins en moins possible, sur l’islam (voir toutes les blagues sur ce qui est haram/halal, ou sur la « mère de Jamel », notamment dans l’épisode où Jamel découvre que son propre frère est homosexuel). Totalement détestables par leur attitude, leurs préjugés et leurs propos, les trois personnages suscitent la sympathie précisément par leur bêtise et les multiples mésaventures auxquelles elle les expose. Même les femmes les plus loufoques, les plus superficielles ou les plus nunuches sur lesquelles ils jettent leur dévolu ressortent sauves et valorisées de situations grotesques dans lesquels les trois zozos s’embourbent lamentablement et se couvrent de ridicule. On ne rit pas avec eux, on rit contre eux. Leur mépris des femmes n’est pas donné en exemple : il constitue la cible même de la dérision.

Le même phénomène de subversion accusatoire par présomption de culpabilité, s’opère dans l’affaire Obono-Valeurs Actuelles.

Comment, mais comment a-t-on pu juger raciste la fiction publiée par cet hebdomadaire ? Comment a-t-on pu trouver là matière à débat sur les limites de la liberté d’expression ? Qu’y avait-il en ce texte d’abject ou de choquant, si ce n’est la traite des esclaves justement décrite comme une atrocité ? Pourquoi Valeurs Actuelles a-t-il présenté des excuses ?

Ceux qui trouvent ce texte raciste seraient bien en peine de pointer une seule phrase, un seul mot qui accrédite leur accusation. Ce texte n’eut été délictueux que s’il avait présenté comme souhaitable et bonne la mise en esclavage de Danièle Obono ou de n’importe qui d’ailleurs. Or, il n’est pas nécessaire de fournir un apparat critique, ni même la moindre ébauche d’explication, pour faire comprendre que ce texte dénonce l’esclavage et, plus précisément, qu’il en dénonce des aspects communément négligés.

Pour ma part, je trouve seulement d’un goût douteux le choix de montrer Danièle Obono « satisfaisant des besoins immémoriaux », ce qui me paraît relever de la méchanceté pure totalement gratuite : humour pipi-caca de cour de récré. Pour le reste, le dessin collectivement incriminé (Danièle Obono avec les chaînes au cou) ne serait choquant que s’il illustrait une apologie de l’esclavage, ce qui n’est en rien le cas de cette fiction, laquelle s’attarde au contraire sur des atrocités à peine soutenables : viols de fillettes, garçons émasculés, enfants épuisés livrés aux chacals, brutalité extrême du marché aux esclaves.

Et surtout, je pense que Mme Obono se serait moins offusquée si elle avait perçu Joséphine Bakhita — Wikipédiala forte similitude entre l’aventure que lui fait vivre Valeurs Actuelles et la biographie d’une des femmes les plus admirables de l’histoire moderne, si exceptionnelle que l’Eglise en a fait une grande sainte, honorée le 8 février dans le calendrier chrétien : Sainte Joséphine Bakhita, canonisée en 2000 par le pape Jean-Paul II. Sa vie a été racontée dans un livre récent, lauréat de plusieurs prix littéraires, dont je recommande chaudement la lecture : Bakhita, de Véronique Olmi (Albin Michel, 2017). C’est l’histoire d’une petite Soudanaise enlevée par des négriers musulmans à la fin du XIXème siècle, qui sera finalement, après mille péripéties, rachetée par un consul italien et se fera religieuse dans un couvent de Vénétie. On y retrouve, décrites avec un grand talent littéraire et une précision documentée, toutes les horreurs évoquées dans la fiction de Valeurs Actuelles qui a tant horrifié tout le monde. La semaine précédente, dans cette série de fictions hebdomadaire, Éric Zemmour avait été transformé en conseiller de Napoléon. Je pense qu’être érigée en nouvelle Bakhita, ce n’est pas mal non plus.

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5 commentaires

  1. — Comme l’auteur de cet article, je n’ai rien trouvé de scandaleux dans la fiction de «VA», j’en ai même apprécié l’ironie mordante.
    — Quant aux excuses de «VA», elles sont absurdes, elles sont totalement incompréhensibles, elles sont injustifiées, et c’est comme si le magazine «VA» n’avait pas du tout compris l’intérêt du texte publié par lui-même.

  2. «VA» aurait dû défendre son texte avec, entre autres, les arguments présentés ici par l’auteur de l’article. Pourquoi cet abandon sans combattre, cette très rapide soumission ?

  3. Madame Obono ne connait ni l’effet « Streysand » ni l’effet « Flamby ».
    L’effet « Sreysand » consiste à attirer l’attention de tous sur un fait en voulant le dissimuler, l’effet « Flamby » consiste à répandre partout des éléments d’un fait ou d’un problème en voulant le détruire avec violence comme on ferait gicler tout le contenu d’un Flamby en voulant l’écraser.
    Madame Obono a réussi avec talent à cumuler les deux effets. Elle a attiré l’attention de tous sur des faits un peu gênant pour les sectateurs de la bien-pensance française et en voulant poursuivre en justice le journal VA elle va répandre partout les éléments de l’histoire… l’histoire de cet article de VA et l’Histoire avec un H majuscule.

    Cet ouragan dans le verre d’eau des bobos parisiens m’a tout de suite fait penser à une tres belle citation de François de La Rochefoucauld :

    La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les pièges que l’on nous tend, et on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres.

  4. Mais si, la fiction de VA est bien raciste, mais pas pour la raison dont vous parlez :
    le racisme, c’est de présenter l’esclavage effectué par des Africains et des Arabes, et non par des blancs (avec un b minuscule, je n’ai pas envie d’être dénoncé !).
    C’est la vraie raison, non écrite, de l’accusation, exactement comme la loi Taubira et les manuels scolaires ne parlent que d’un seul esclavage.
    Bravo, chère Ingrid, pour votre courage, de lire Les inrocks et de regarder ces séries « Canal + », c’est au-dessus de mes forces…

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