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« Je l’aimais tant que pour la garder, je l’ai tuée / Je ne suis qu’un fou, un fou d’amour / Un pauvre fou qui meurt, qui meurt d’amour. »

 

Un collectif de femmes journalistes signait dans Libé, il y a trois ans, une tribune intitulée :

crime passionnel

A quand l’interdiction de la magnifique chanson de Johnny, qui donne à entendre la douleur déchirante de celui qui vient de tuer par amour et qui s’apprête à se faire « crever le cœur » afin de « s’endormir pour toujours près d’elle » ?

Crime d’honneur ?

Les féministes contestent depuis longtemps l’existence même du crime passionnel, dans lequel elles ne veulent voir qu’un crime d’honneur et un désir obsessionnel de posséder l’autre.

C’est déjà mélanger les choses : le crime d’honneur est une vengeance narcissique maquillée en noble principe (sinon en « devoir »). On peut commettre un crime d’honneur même quand on n’éprouve aucun sentiment pour son conjoint (mariage arrangé, etc.). Dans le cas du crime d’honneur, la personne trompée ne se suicide pas. Elle applique une punition, c’est tout.

Le célèbre passage de l’Enfer de Dante, où le poète narre le terrible épisode de Paolo et Francesca, tués par Gianciotto Malatesta, le mari de celle-ci, n’est pas l’histoire d’un crime passionnel mais d’un crime d’honneur, Francesca et Malatesta ayant été mariés par décision de leurs familles :

Paolo et Francesca

Paolo et Francesca, par Amos Cassioli

Le désir de posséder l’autre suppose, au contraire, un fort investissement affectif. L’amour authentique est même encore plus fort que le désir de posséder : il agit dans l’ordre de l’être et suscite un désir de fusion en l’autre. Dès lors, la séparation subie n’est pas uniquement vécue comme une perte mais bien comme une amputation, voire comme une forme de mise à mort. Il n’est donc pas étonnant que l’on puisse tuer l’autre et se tuer avec lui, plutôt que d’accepter de survivre en n’étant plus qu’une moitié sans sa moitié, une espèce de mort-vivant.

Meurtre conjugal ?

Les féministes ont également tendance à faire du crime passionnel une expression paroxystique de la violence conjugale. L’article de Marie-Claire intitulé, comme la tribune précédemment citée :

crime passionnel

est illustré d’une photo de l’arrestation de Bertrand Cantat.

C’est oublier que, précisément, ce qui caractérise ce type d’assassinat est son caractère totalement imprévisible et strictement contextuel. En d’autres termes, le vrai crime passionnel est commis par une personne qui aime trop son conjoint pour pouvoir lui faire du mal. Il est un acte douloureux et paradoxal pour la personne même qui le commet, et qui le perçoit comme un moindre mal, non comme un acte satisfaisant en quoi que ce soit.

Décidément, on ne m’ôtera pas de l’idée qu’il y a dans le crime passionnel une beauté tragique tout à fait particulière.

Une expression trop valorisante

Elles veulent le rebaptiser « féminicide » parce qu’il paraît que « crime passionnel » est trop valorisant pour le coupable (de même que, la misogynie étant trop gentiment macho, elles veulent nous obliger à dire « gynophobie », sur le modèle d’homohobie, islamophobie, etc.). Mais c’est aussi plus valorisant pour la victime, que diable ! Sondage à main levée : qui préfère être victime d’un crime passionnel ? Et qui d’un féminicide ?

Trêve de plaisanterie, cette histoire de féminicide est grave.

Après le drame survenu le 18 novembre à Sarcelles (le policier qui a tué sa compagne après qu’elle lui a annoncé son intention de le quitter, et en a tué ou blessé plusieurs autres avant de se donner la mort), Marlène Schiappa elle-même a  considéré le crime passionnel comme un féminicide, ce qui est totalement idiot :

crime passionnel2

D’abord parce que, tout comme les « violences faites aux femmes » (qui tendent à remplacer la notion de « violences conjugales »), le mot nouveau paraît devoir suggérer que seules les femmes sont victimes de crimes passionnels et que seuls les hommes en sont coupables. Exeunt les crimes passionnels dans les couples gays ou lesbiens et les cas où c’est madame qui tue son mari le jour où il lui annonce qu’il la quitte pour une jolie poulette. Si on les appelle féminicides, ces meurtres ne peuvent plus être commis que par des hommes, ils ne peuvent plus viser que les femmes.

Mais surtout, le mot est mensonger : un véritable féminicide devrait viser les femmes parce qu’elles sont femmes. Or, quand on tue sa femme parce qu’elle nous quitte, on ne la tue pas parce qu’elle est femme mais parce qu’elle nous quitte.

Ainsi, en Inde, les couples riches qui, contrevenant à l’interdiction du diagnostic prénatal à visée sélective, pratiquent l’avortement systématique des fœtus féminins, tombent sous le coup de cette accusation. On n’entendra pourtant aucune voix féministe, ou presque, pour s’en émouvoir. Il est vrai que ce serait entraver la liberté de la femme, qui a bien le droit de refuser d’engendrer une femme, non mais zut !

Cela dit, d’autres que Johnny ont chanté le crime passionnel. C’est même le titre de la chanson ci-dessous. Pourtant, le terrible « tu vas goûter mon châtiment » (3:54) sent plus le crime d’honneur que le geste de désespoir. En outre, le clip se clôt sur l’assassinat de la jeune femme, sans que « je » paraisse envisager de la suivre dans la mort. Prudente, je laisserai à certains de mes très mal-pensants lecteurs le soin d’émettre l’hypothèse que, peut-être, la notion de « crime passionnel » n’a pas la même définition dans toutes les cultures.

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