Quand Valls s’essaie au discours anti-médias

« On nous dit que la gauche n’a aucune chance mais rien n’est écrit. On nous dit qu’elle ne rassemblera jamais, qu’elle en est incapable, rien n’est écrit. On nous dit que l’extrême droite est qualifiée d’office pour le second tour, rien n’est écrit. On nous dit que François Fillon est déjà le prochain président de la République, rien n’est écrit. »

Le souvenir de l’anaphore présidentielle

Avec « Moi président », les journalistes avaient pu briller par leur connaissance stylistique en identifiant une anaphore. Un seul d’entre eux avait su dépasser cet étiquetage technique qui n’a aucun intérêt en soi : Daniel Schneidermann s’était arrêté sur la syntaxe du passage où se situait la figure et avait commenté avec intelligence et humour la rupture de construction (une faute de français, en clair) que l’on pouvait relever dans la plupart des occurrences de la formule.

Je me permets de renvoyer à mon livre, p. 294 et suiv., les visiteurs de ce blog qui souhaiteraient de la tirade hollandienne une analyse un tout petit peu plus poussée que celle qui fut proposée par les grands médias.

Mais quelle figure Manuel Valls a-t-il employée ?

Rebelote donc, le 5 décembre. Discours de candidature de Manuel Valls, prononcé à la mairie d’Evry.

[…] On nous dit que la gauche n’a aucune chance mais rien n’est écrit. On nous dit qu’elle ne rassemblera jamais, qu’elle en est incapable, rien n’est écrit. On nous dit que l’extrême droite est qualifiée d’office pour le second tour, rien n’est écrit. On nous dit que François Fillon est déjà le prochain président de la République, rien n’est écrit. […]

Une anaphore ?

Le souvenir du « Moi président » étant apparemment encore frais, c’est le mot « anaphore » qui a surgi d’emblée sur les lèvres des commentateurs lors des fameux décryptages immédiats d’après-discours. Sentant bien que cela ne collait pas totalement, Anna Cabana, sur BFMTV, a inventé la « répétition en forme d’anaphore ». Précisons qu’elle voulait parler de « rien n’est écrit » ; donc, elle a faux ; ce n’est pas une anaphore.

Une épiphore ?

Il a fallu quelques heures aux journalistes pour découvrir une autre figure de style : l’épiphore (voir aussi ).

L’épiphore étant le contraire de l’anaphore, c’est-à-dire la répétition d’un mot ou groupe de mots en fin de phrase ou de proposition, ce n’était pas idiot. Voyons ce qu’il en est. Je chausse mes lunettes:

Pour moi, « rien n’est écrit » n’est pas forcément à la fin de la phrase. On retranscrit: « […], rien n’est écrit », mais on pourrait tout aussi bien retranscrire le propos par « […] . Rien n’est écrit ». Cette proposition scande l’extrait. Si l’on veut rester dans les termes techniques, c’est donc une épanalepse en refrain. Il est vrai toutefois que ce « rien n’est écrit » vient, à chaque fois, contredire la prédiction énoncée dans la phrase qui précède et, en ce sens, ce segment s’articule avec elle comme une clausule ; dans cette mesure, il y a bien une épiphore. Mais elle n’est pas seule. Les journalistes se sont tellement focalisés sur « rien n’est écrit » qu’ils ont oublié de noter ce qui constituait bien, pour le coup, une anaphore : « on nous dit ». Quand un texte cumule une formule en anaphore et une autre en épiphore, la figure utilisée s’appelle une symploque. Symploque. C’est mignon comme mot, non ? J’espère avoir suscité quelques vocations de stylisticiens avec ce bref exposé, que je conclus avec cette petite citation :

« Ce sont de beaux noms : crase, hyperbate, synecdoque, anaphore et les autres. Ce sont mots d’observation et de savoir, ce sont mots de métier, légèrement exotiques, étranges (on dirait féeriques)» (Jean Paulhan).

Mais dire tout cela n’a aucun intérêt en soi. Les journalistes qui accompagnent l’identification de la figure d’un commentaire du genre « on voit que Manuel Valls veut insister sur l’idée qu’il n’y a pas de certitude concernant la prochaine élection présidentielle », m’inspirent cette remarque que l’on met dans la marge des copies de la plupart des étudiants: « paraphrase stérile, vous ne faites que répéter, en moins bien, ce que dit l’auteur ».

Exemple LCI : « Une expression précédée de l’anaphore « on nous dit », manière de placer son auditoire en résistance vis-à-vis des scénarios écrits à l’avance. »

Merci on avait compris. Ecrits ? Comment cela, « écrits » ? Rien à dire sur cette métaphore ? Et surtout, écrits par qui ? Rien à dire là-dessus ?

 

Que dit Manuel Valls?

La vraie stylistique est une herméneutique disait ma directrice de thèse. A mes étudiants, je donne ce conseil : imaginez toujours que l’auteur avait mille autres manières de dire ce qu’il dit. Pourquoi celle-ci lui est-elle apparue comme la meilleure ?

Au lieu de « on nous dit que », Manuel Valls aurait pu dire : « certains pensent que », par exemple.

Au lieu de « rien n’est écrit », il aurait pu dire : « tout est encore possible », par exemple.

Manuel Valls prend position, de manière clairement polémique, contre l’idée qu’il y aurait une logique inexorable qui permettrait de prédire les résultats de la prochaine élection. De manière polémique, parce qu’il s’oppose à un discours adverse,

  • comme l’indique l’emploi de la négation (rien n’), toute négation étant un rejet de l’énoncé inverse (que l’on n’aurait pas avec « tout est encore possible »),
  • et comme l’indique aussi, évidemment, le verbe « dire ».

« On nous dit que » : qui ça, « on » ? qui ça, « nous » ?

D’ailleurs, il aurait pu dire aussi « on vous dit que ».

Il préfère le « nous » qui le rapproche de son auditoire (vous et moi), avec qui il s’unit dans une communauté, celles des victimes d’un faux discours proféré par un mystérieux « on ».

Le fait qu’il ne dise pas « certains pensent que » mais qu’il ait opté pour l’idée qu’« on » nous « dit » des choses désigne nécessairement une catégorie de producteurs de discours. Suivez mon regard.

Valls a senti le vent ; il a compris que pour gagner, ces temps-ci, il faut taper sur les médias.

C’est sans doute une bonne stratégie. Bonne, contrairement au slogan qu’il s’est fait refiler par je ne sais quel conseiller en communication qu’il a intérêt à virer rapidement :

Alambiqué et creux à la fois. Tarabiscoté et vide.

C’est sans doute le même conseiller – à virer d’urgence – qui lui a suggéré de sourire pour se donner un air sympathique.

             

Il est plutôt bel homme, Manuel Valls ; mais quand il sourit, il fait peur.

Bonne nouvelle, il a enfin abandonné la « diction Hollande » qu’il avait adoptée, sans doute inconsciemment, depuis qu’il était devenu Premier Ministre. Je veux désigner par là la combinaison peu heureuse d’un ton hésitant, d’un timbre de voix mal assuré et d’un phrasé qui donne l’impression que celui qui parle ne croit pas à ce qu’il dit, voire, qu’il ne comprend pas vraiment ce qu’il dit. Je plains tous les gens qui écrivent les discours de notre Président. Leur travail est vraiment gâché par le résultat final. J’avais trouvé si regrettable cette dégradation soudaine de la parole chez Valls que je lui avais écrit pour le mettre en garde contre cette tendance à s’aligner sur la pratique du chef de l’Etat. Je n’ai évidemment pas reçu de réponse, pas plus que je n’ai perçu de changement dans la qualité des discours du Premier Ministre. Satisfaction aujourd’hui, de voir qu’il a retrouvé sa capacité à parler correctement et avec assurance.

Mais pitié, que quelqu’un dise à M. Valls, une bonne fois pour toutes, qu’on ne prononce pas « votre » comme « vôtre » !

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