Pareils ou pas pareils: faudrait savoir !

 La primaire de la droite était censée mettre aux prises des individus aux idées presque identiques. Tous pareils, nous disait-on. C’était une affaire de personnes, nous répétait-on. Bizarrement au lendemain du premier tour, c’est devenu une affaire d’idées, et même l’affrontement de deux conceptions radicalement opposées de la politique.

Une fois de plus, certains journalistes ont péché par excès de zèle en faisant ce qu’on ne leur demandait pas : ils ont lu dans le marc de café… et ils se sont plantés.

Juppé était-il le candidat des médias ? Du moins ceux-ci le donnaient-ils gagnant avant même le premier tour de la primaire. Sa défaite confirme mon diagnostic : les médias sont devenus des porte-poisse.

On a beaucoup disserté sur la diabolisation (le mot est mal choisi) soudaine de François Fillon, caricaturé en grenouille de bénitier durant l’entre-deux tours, tandis que Juppé, moderne et social (paraît-il), semblait tout aussi soudainement devenir plus ou moins gaucho-compatible. Pas au point de séduire les électeurs de gauche, toutefois, sans quoi il eût obtenu un meilleur score au second tour.

Mais ce qui me paraît important, c’est le glissement qui s’est opéré dans l’analyse de la nature de l’affrontement, telle qu’elle a été menée par les grands médias. Alors qu’ils s’attendaient à commenter un affrontement Juppé-Sarkozy qu’ils eussent pu traiter sur le mode affectif, Juppé porté par la vague du « tout sauf Sarko », ils se sont retrouvés à devoir analyser un duel qu’ils n’avaient pas anticipé.

Tout sauf sarko… et les médias

Ils ont pourtant eux-mêmes contribué à placer Fillon en tête. En effet, il ne fait aucun doute que la victoire de François Fillon à la primaire s’explique, au moins en partie, par la convergence de deux phénomènes : le rejet de Sarkozy qui a d’abord incité les électeurs à se porter préférentiellement vers Juppé, senti comme le plus solide rival à l’ancien président, et le rejet des médias, allergisants avec leur tendance à faire l’élection avant l’élection, qui a opéré un report sur Fillon du choix anti-sarko.

Fillon « protégé » par des pronostics défavorables

C’est Fabienne Sintès qui résume le mieux la réussite de Fillon, en même temps qu’elle lui promet, en creux, un avenir très moche : « jusqu’ici, Fillon était protégé parce que personne ne l’avait vu venir. » (le 29 novembre dans la matinale de France Info).

Coco, qu’est-ce que tu te serais pris si on t’avait « vu venir »…

« Protégé » de quoi ? Des attaques de ses adversaires, bien sûr. Mais également des médias : il suffit de voir comme ils l’ont traité une fois qu’il est apparu en position de l’emporter !

De fait, si Fillon avait été si dangereux que cela, on nous l’aurait fait savoir bien avant. Les médias n’aiment rien tant que jouer à se faire peur (et à nous faire peur) quand ils savent que c’est « pour de faux », comme disent les enfants. Rappelons qu’en mai 2002, quoique Le Pen n’eût, à l’époque, pas le moindre espoir de l’emporter, le danger fasciste était à nos portes.

Pareils ?

Les commentateurs de tous bords y avaient insisté : cette primaire serait difficile à départager puisque les candidats (exception faite de Poisson) présentaient des projets très similaires.

Dans le Journal du Dimanche :

Dans France Soir :

 

Dans les Echos:

Ce que nous avons pu constater tout au long de cette primaire, et encore dans l’entre-deux tours, c’est que cette analyse était bonne. Les candidats ne s’opposaient en effet que sur des points mineurs, le reste étant une question d’emballage et de posture. Rien là de très étonnant puisqu’il s’agissait d’une primaire à l’intérieur d’une seule et même « famille » politique, comme ils disent (moi ça m’énerve, cette métaphore).

Ou différents ?

Pourtant, le discours médiatique a changé durant l’entre-deux tours. D’un seul coup, ce n’était plus une affaire de personnes. D’un seul coup, ils ne s’opposaient plus sur des détails. D’un seul coup, leurs projets n’étaient pas sur bien des points similaires. D’un seul coup, on voyait s’opposer deux visions

de la société :

de la famille:

de la droite : 

de la santé :

Et si, de l’avis général, il fut considéré comme maladroit de la part de Juppé d’attaquer Fillon sur ses convictions personnelles en matière d’avortement, les médias furent moins coulants pour ce qui concerne la préservation de la filiation pour les enfants élevés par des couples gays ou lesbiens. Fillon suggérait juste, très timidement, d’empêcher l’adoption plénière. Un point qui fut lourdement souligné, tandis que l’opposition de Juppé à l’utilisation de mères porteuses bénéficia d’un silence qui permettait de créer, de toutes pièces, une opposition facile et factice.

Parce que tout est là : cette soudaine mise en opposition radicale de deux projets politiques assez similaires devait, comme toujours, entrer dans les cases obligées d’un manichéisme maladif. Pour les journalistes, quand deux personnes s’affrontent, il y a forcément un gentil et un méchant.

Ainsi, Libé, peu susceptible a priori de prendre parti entre un candidat de droite et un candidat de droite, s’est positionné clairement, en attaquant Fillon :

 

Et l’Obs a titré sur « le vrai Fillon », comme si l’on découvrait soudain son vrai visage.Il n’avait pourtant pas changé de programme entre le premier et le second tour !


On me dira que c’est là une preuve de plus que la presse est de gauche, puisqu’elle fait le jeu de la gauche en tenant les mêmes propos que Cambadélis (« la droite s’est choisi un candidat ultra-réac,etc ») et en caricaturant Fillon en extrémiste dangereux pour mieux valoriser le futur candidat du camp d’en face. Peut-être, mais c’est un jeu risqué puisque, si l’on en croit les mêmes médias, le vainqueur de la primaire sera celui-là même pour qui il faudra voter afin d’écarter une fois de plus le danger fasciste au second tour de la présidentielle. Si on l’hitlérise un peu trop, cela deviendra un cas de conscience compliqué… 

Pour en rester à l’observation des conséquences de cette posture médiatique, je remarque surtout qu’elle a bien servi ledit Fillon. Les résultats eussent été plus serrés si les médias avaient choisi l’angle : « Juppé et Fillon, c’est kif-kif ». En définitive, cette manière de forcer le trait en accentuant artificiellement, entre les deux candidats, des différences qui n’étaient qu’à peine perceptibles, a probablement offert la victoire à François Fillon. Quand quelqu’un a la réputation d’être insignifiant, faible et mou, c’est lui faire un beau cadeau que d’arriver à faire croire qu’il est dangereux.

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