redoubler« Blanquer joue le retour en arrière », titre le Monde. Une formulation toute de neutralité apparente, comme le quotidien de référence sait en faire.

Effectivement, le redoublement était devenu une pratique exceptionnelle durant l’ère Belkacem. Mais quand on pourrait parler de « réhabilitation », d’« encouragement à renouer avec », etc., choisir l’expression « retour en arrière » qui, en langage de médiatique, est très négativement connotée, c’est prendre parti contre l’initiative du ministre.

le monde redoublement

Donc redoublement = pas bien.

Et l’article de rappeler ces vérités officielles qu’il est conseillé de recracher sans trop réfléchir :

A long terme, « le redoublement n’a pas d’effet sur les performances scolaires » et « a toujours un effet négatif sur les trajectoires », affirmait, en janvier 2015, le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) dans un rapport. Sans parler des traces psychologiques : perte de confiance, sentiment d’échec, démotivation.

Pour moi, ça, c’est comme la légende qui veut que les filles soient orientées vers les filières littéraires et les garçons vers les filières scientifiques. J’ai déjà eu l’occasion de dire que, dans mon cas comme dans bien d’autres, ce que l’on constate c’est qu’un bon élève (garçon ou fille) est systématiquement orienté vers les filières scientifiques « parce que c’est là que vont les bons ». Garçon ou fille, si on a le malheur de ne pas être mauvais, on doit se battre pour faire accepter à nos profs et à tout le monde notre choix d’aller en L. Eh bien pour le redoublement, c’est pareil. La doxa officielle est fausse. Sauf cas de décrochage absolu, le redoublement agit en général comme un stimulateur de confiance. Et c’est une erreur de penser que le discrédit pesant sur le redoublement au sein de l’institution scolaire est récent. Il y a plus de dix ans, mes parents devaient déjà batailler contre l’équipe pédagogique pour faire accepter que mon frère, puis ma sœur, l’un et l’autre demandeurs, obtiennent l’autorisation de redoubler. Être obligé de passer dans la classe supérieure quand, conscient de ses faiblesses, on ne se sent pas en confiance, voilà qui aboutit immanquablement à « l’échec » et à la « démotivation ». Une évidence que le Cnesco semble ne pas voir. Pas plus que le Monde.

Mais il est une chose que je constate aujourd’hui, en tant que maman, avec une immense surprise.

Ma fille n’est ni précoce ni surdouée, c’est une bonne élève, point barre. Et voilà que la maîtresse me propose de la faire passer, en cours d’année, dans la classe supérieure. Comme je m’étonne de cette proposition, elle me dit que « dans cette classe, ils sont quatre élèves dans ce cas ». Quatre, à qui l’on est prêt à faire sauter une classe ! Qu’est-ce qui caractérise ces quatre élèves ? Ils savent lire, font leurs devoirs du soir, apprennent ce qu’il y a à apprendre et commettent, en général, peu de fautes dans leurs exercices. C’est tout. Mais le fossé est énorme entre ces élèves simplement normaux et certains de leurs camarades, pour qui dix lignes à lire chaque soir, c’est déjà insurmontable, de sorte que les exercices de maths et de français (dont le niveau d’exigence reste très – trop – modeste…) ne sont jamais faits non plus.

Qui n’est pas à sa place ? Qui ne devrait pas être dans cette classe ?

Renseignements pris auprès de nombreux parents, j’apprends que, dans beaucoup de familles aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un enfant (souvent même deux) ait sauté une classe au cours de sa scolarité. « Cela semble être une solution sur le moment mais ça pose d’autres problèmes après », me dit une maman. Indubitablement : ce n’est pas facile de se retrouver dans la classe d’élèves plus âgés, plus mûrs, avec tous les problèmes d’intégration que cela peut entraîner, sans parler du sentiment de n’être pas normal que suggère le passage (obligatoire !) par la case psy.

Ce système pervers a donc engendré sa propre logique compensatoire : ne pouvant faire redoubler les élèves en difficulté, on s’est avisé de faire sauter des classes aux bons. Autrefois exceptionnel, le saut de classe est devenu systématique. Il ne signifie plus rien. Sinon que le niveau a terriblement baissé parce qu’on l’a aligné sur celui des plus faibles éléments de chaque classe, pour justifier de n’avoir pas à les faire redoubler. M. Blanquer, ne lisez pas le Monde. Moi, je suis d’accord avec vous.

19 commentaires

  1. Bonjour Ingrid,
    Mon message n’a aucun rapport avec votre billet, et je m’en excuse. Mais je n’ai pas trouvé d’autre endroit sur votre site pour vous posez ma question. Vous qui êtes attentive aux évolutions du langage, je voudrais savoir ce que vous pensez de la prolifération du terme « problématique », employé de plus en plus comme substantif et non comme qualificatif, à mon avis à tort et à travers. Cette prolifération affecte les media et les hommes politiques, mais pas seulement. Cet usage récent pose bel et bien un « problème », si j’ose encore dire : l’on est face à un problème à traiter, tandis que l’esprit construit une problématique, pour par exemple élaborer le plan d’une dissertation. Etant un esprit simple, quand il y a un problème, j’utilise donc le terme « problème » et non le terme « problématique », réservant ce dernier terme pour l’usage qui doit être le sien.

    • Bonjour Pierre, vous êtes plus tolérant que moi: à l’université, je disais aux étudiants que même dans une dissertation, il n’y avait pas de « problématique ». Ce mot s’est substitué à « problème » sous l’influence de pédants jargonnants. Dans son livre « A la recherche du français perdu » (Plon, 1999), Jean Dutourd disait tout le mal qu’il pensait de ce mot (entre autres) et rappelait que le seul statut légitime de ce terme était celui d’adjectif.

      • Bonjour Ingrid,
        La ligne de partage que vous proposez, dans le sillage de Jean Dutourd, est très claire : « problème » est un substantif et « problématique » ne peut être qu’un adjectif. Mais, personnellement, guidée par une sorte d’intuition, j’aurais tendance à éviter l’usage du terme « problématique », même comme adjectif. Qu’est-ce qui pourrait être « problématique » : une tarte tatin ratée ? le comportement d’un élève dissipé en classe ? le discours d’un homme politique ? Il faut malheureusement constater que les « pédants jargonnants » dont vous parlez ont parfaitement réussi, dans ce cas précis : le mot « problématique », utilisé comme substantif, l’emporte désormais largement dans l’usage. Je m’en désole, comme vous donc.

    • C’est comme « une thématique ». Et « citoyen » qui est devenu un adjectif, remplaçant le rance « civique »…

  2. Je suis confus : un peu fatigué ce dimanche soir mon attention a faibli et, dans le message juste au-dessus de celui-ci, j’ai écrit « pour vous posez ma question » au lieu, bien sûr, de « pour vous poser ma question ». Voilà mon erreur réparée.

  3. Bonsoir,

    Je comprends votre raisonnement (« l’interdiction du redoublement a entraîné une compensation en faisant sauter les classes aux bons élèves ») mais, contrairement à ce que vous dites, le pourcentage d’élèves ayant un an d’avance n’est pas si élevé que vous le supposez.
    Dans l’académie de Nantes, le pourcentage d’élèves en avance est d’environ 2,5 %, stable depuis pas mal d’années. La classe de votre fille (4 élèves concernés sur 25 élèves, en gros), ne semble donc pas du tout correspondre à la moyenne observée. De sorte que votre conclusion « le saut de classe est devenu systématique » semble bien hasardeuse.
    Pour le reste je vous rejoins totalement (en particulier les doxa assénées comme autant d’évidences qui n’en sont pas).
    Cordialement,

  4. Bonjour,
    J’ai toujours qualifié l’interdiction de redoublement comme l’interdiction de bénéficier davantage du service public, donc comme une inégalité fabriquée par les gauchos. Comme si on renvoyait de l’hôpital les gens incapable d’être guéris!
    Sinon, j’en profite pour vous signaler sur France Culture une émission complètement à charge sur les prépas (on interroge 3 personnes en échec, et on en tire des conclusions). Pour que l’échantillon soit le moins représentatif possible, on cherche juste 3 personnes uniquement en lettres – en gros, une et deux de ses amis. Et on ne fait même pas le tri de leurs arguments – l’une explique par ex qu’elle était toujours en retard car c’est fatiguant le matin. Voilà à quoi sont payés les gens du service public!

    • Je suis d’accord avec vous : l’interdiction du redoublement n’est qu’ un moyen de faire des économies, car un élève coûte cher. Avoir déguisé cet argument comptable sous le soi-disant bien-être de l’adolescent est un crime.

      • Pour confirmer, à la fois ce que dit Eva et ce que dit Ingrid : mes enfants, élèves en prépas renommées, ont observé que plus de la moitié de leurs condisciples étaient de l’année d’avant. Ce qui donne un léger sentiment d’infériorité à celui qui est « dans son année »..; mais né en décembre, ouf !
        Et l’un des condisciples de mon 3eme enfant a fêté sa majorité en… 3ème année de médecine. Ce qui l’a frustré de pas mal de soirées d’intégration car, dans cette faculté qui se veut excellente, on est intraitable sur l’accès aux soirées « gosier en pente » réservées aux majeurs !

  5. L’argument qui souligne que  » un redoublement a un effet négatif sur les trajectoires » ou autrement dit qu’un élève qui aura redoublé risque de rencontrer des difficultés scolaires par la suite m’a toujours semblé naïf.
    Si, un redoublement est envisagé par une équipe enseignante, ce n’est pas par méchanceté, ce n’est pas dans l’insouciance, c’est parce qu’elle perçoit une difficulté d’apprentissage pour laquelle elle propose un aménagement de la scolarité mais qui risque fort d’être récurrent dans un système d’enseignement général privilégiant le rapport aux langages et à l’abstraction.
    Il conviendrait plutôt d’interroger les propositions d’orientation et notamment le collège unique qui ne permet pas à certains enfants de développer leur motivation et leur intelligence plus efficiente au travers d’applications.
    Il faut attendre la fin de la quatrième pour y avoir accès et dans un sentiment de dévalorisation.

  6. Bonjour Ingrid, un témoignage personnel sur le redoublement : mes deux fils ont chacun redoublé leur 1ere S à notre demande et avec leur accord et les bénéfices ont étés importants : meilleurs dossiers scolaires pour postbac , plus grande maturité pour aborder la première année d’études supérieures ce qui a probablement évité des difficultés ,voire des échecs. Quand à moi, née à la fin de l’année et ayant appris à lire avant le CP, j’ai passé le bac avec presque 2 ans d’avance mais l’ado que j’étais à 16 ans a  » reperdu  » ces deux années pendant le début de sa vie étudiante. Filles et garçons n’ont pas toujours le même rythme pour grandir, un élève précoce ne se sentira pas forcement à l’aise avec des camarades plus âgés, bref, on ne devrait pas décider une politique globale sur ces questions mais faire confiance à la connaissance de l’élève qu’ont ses parents et les équipes enseignantes pour décider ou non d’un redoublement. Un grand merci pour votre blog et l’intelligence de vos analyses !

  7. Pour oser un parallèle : on constate qu’un grand nombre de gens qui éprouvent une douleur prennent de l’aspirine : interdisons donc l’aspirine. De même, un certain nombre d’élèves qui redoublent ont des difficultés scolaires… interdisons donc le redoublement. Cas classique d’inversion de la cause et de l’effet.

  8. Et bien moi, je ne suis absolument pas d’accord avec le redoublement. Je suis effarée qd des élèves demandent eux-mêmes le redoublement. Combien et comment a t-il fallu les décourager pour les inciter à
    réclamer une telle sanction. Refaire et refaire indéfiniment le même programme avec les mêmes professeurs, les mêmes explications, tient du non sens, (mis à part une infime minorité! avec des problèmes particuliers). On ne va quand même pas me dire qu’ils n’ont pas compris ou pas écouté 100% du programme !
    la plupart suivent le discours de leurs parents. A croire que, ce sont les parents qui sont fatigués d’être appelés par l’établissement ! On nous dit : cela permettra de combler les lacunes. Alors pourquoi pas, combler les lacunes dans la classe supérieure. Rien n’interdit de mettre en place des modules complémentaires ! mais dans la classe de leurs camarades !

    • On ne gère pas une classe avec de l’idéologie.
      Il arrive un moment où, sur une classe de 25 élèves, la somme des disparités qu’il vous faut prendre en compte se fond en une masse informe qui vous fait perdre pied.
      Et vous avez l’impression de ne plus vous adresser à personne
      Chaque classe fonctionne avec un niveau de langage  » médian »: choix des poèmes, choix des des textes, niveau des paroles adressées… Y inscrire un élève en incapacité d’adhérer à ce niveau de langage c’est le perdre et c’est parfois le rendre amer.
      Le redoublement tel que vous le décrivez ( refaire tout à l’identique) existe de moins en moins. Au début des années 90, avec la représentation de la scolarité en cycles, la notion de ralentissement, ou d’aménagement, pour des élèves qui en avaient besoin ( faire 3 années en 4) a été proposée. Il n’en reste pas moins que le problème de l’adéquation du potentiel de l’élève au langage courant du groupe dans lequel il est inscrit reste posé et qu’il faut pouvoir y apporter une réponse: pour lui-même de manière à ne pas le perdre, à le garder dans une dynamique de curiosité et d’apprentissage et pour les autres élèves à travers les enseignants qui ne peuvent pas gérer un grand écart perpétuel, notamment dans des conditions pratiques qui n’ont guère évolué.

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