Les tontons flingueurs : en moins d’un demi-siècle, ce nanar populiste est devenu un « film culte »…

Qui aurait pu imaginer, en 1963, que les Tontons flingueurs, une parodie de polar adaptée d’Albert Simonin, deviendrait un jour “culte” aux yeux mêmes des gens qui font profession de penser ? C’est pourtant ce qui s’est produit, comme en témoigne le documentaire dithyrambique que lui consacrait, jeudi passé, la chaîne la plus cérébrale du service public (France 5, jeu di 13, 21 h 35).

Pour autant le film n’a jamais cessé d’être populaire, au contraire : avec le temps, il tend même à devenir un des derniers ponts “intergénérationnels”, comme ils disent. À 20 ans comme à 80, comment ne pas s’amuser de Blier, fulminant contre Ventura : « Aux quatre coins de Paris qu’on va le retrou ver, par petits bouts, façon puzzle ! » ?

Il faut croire que ce cru a bien vieilli – comme le fameux alcool pétrifiant autour duquel nos flingueurs, après avoir échangé coups de feu et bourre-pifs, se réconcilient dans la cuisine en égrenant leurs souvenirs de Saïgon et de “Lulu la Nantaise”. En tout cas ils reviennent de loin, ces Tontons ! À sa sortie, le film avait été éreinté par la critique intelligente, qui ne jurait que par cette Nouvelle Vague dont Audiard disait : « Elle est plus vague que nouvelle… »

Une blague typiquement réac, on en conviendra, bien dans la façon de ses personnages ! Ces nostalgiques de la coloniale s’avèrent parfaitement im perméables à l’art contemporain, et notamment à la musique concrète ! Ces voyous tradis sont respectueux, outre la patrie, de la famille et du travail bien fait… Et que dire de leur “machisme” de mecs qui n’acceptent de se saouler et de se buter qu’entre eux ?

Comme le reconnaît honnêtement le documentaire, ce travers dé génère même parfois en “homophobie”. Ainsi le gangster boche aux mœurs antiphysiques est-il prié par le “parrain” local de congédier son giton : « Chez moi, quand les hommes parlent, les gonzesses se taillent ! » Comment France 5 et Serge July (coauteur du doc) justifient-ils cette faute de goût ? Mais le plus simplement du monde : en “recontextualisant” ces propos qui « pourraient aujourd’hui paraître homophobes ». Tu parles, Charlotte !

Le problème c’est que, pendant ce temps-là, l’enquête piétine : par quelle alchimie une daube réputée infâme est-elle devenue un « film culte », comme on l’écrit aujourd’hui jusque dans Télérama ? « Un phénomène extraordinaire, je n’arrive toujours pas à comprendre », avoue le réalisateur, Georges Lautner… Heureusement, il y a un doc teur dans la salle ! Alain Rey, linguiste et tontonologue, résume à mer veille la situation : « Ce film en dit plus qu’il n’en dit, et il est plus qu’il n’est… Finalement, ça doit être un chef-d’œuvre ! » Sauf que la recette de cet élixir reste mystérieuse. Y’a de la pomme, mais y’a pas que de la pomme…

(Publié dans Valeurs Actuelles/Télésubjectif, le 27 mai 2010)

Laisser un commentaire

Please enter your comment!
Please enter your name here