Riche débat vendredi passé chez Giesbert (Semaine critique !, France 2, 23 heures). Si riche, en sujets comme en opinions, qu’il me serait impossible de vous le résumer dans l’espace intellectuel qui m’est imparti (mes dix pages de notes resteront donc impubliées, au moins jusqu’à La Pléiade).
En attendant, laissez-moi vous raconter les meilleurs moments de cette tempête de cerveaux ininterrompue pendant quatre-vingt-dix minutes. À l’affiche, outre le pittoresque néocommuniste slovène Slavoj Zizek, on retrouvait Alain Minc, Rony Brauman et Alain Finkielkraut (photo) : quatre mondes sur un plateau.
D’entrée, l’animateur demande à ce dernier sa définition du “politiquement correct”. L’exemple qui vient aussitôt à l’esprit de Finkie, c’est celui de Xavier Beauvois, récompensé aux Césars pour Des hommes et Des Dieux. Pourquoi a-t-il fallu que, dans son discours de remerciements, ce talentueux artiste salope son propre film en le décrivant comme un banal « message de fraternité et de tolérance » – non sans balancer au passage sur Zemmour et Hortefeux ?
« Beauvois ne voit pas ce qu’il montre », diagnostique Fink. C’est cela, le politiquement correct : « la philosophie qui ne nous laisse pas libres de voir ce que nous voyons ».
Avec le même à propos, c’est à Rony Brauman que Giesbert demande ce qu’il penserait d’une intervention occidentale en Libye, au nom du “droit d’ingérence”. « À ce compte-là, pourquoi ne pas entrer en guerre au Zimbabwe, en Côte d’Ivoire, en Birmanie, et même en Israël quand Gaza est attaquée ? », ironise Brauman, qui ne veut pas de cette « guerre tous azimuts sous la bannière des droits de l’homme ». Voilà un humanitaire dont l’idéalisme s’est, au fil du temps, teinté de réalisme…
C’est un peu l’inverse chez Alain Minc, dont l’intelligence repose habituellement sur la mise à distance de tout – y compris de ses contradicteurs. Avec Un petit coin de paradis, c’est une hymne d’amour enflammée à la déesse Europe que nous sort ce garçon, d’ordinaire plus retenu. Savez-vous un peu, aussi, « toutes les raisons qu’on a d’être fiers d’être européens » ? Pas français, entendons-nous bien : « Français, ça ne veut rien dire… C’est un petit village ! » Non, européens comme le “modèle” du même métal : celui de la liberté et de la démocratie.
Habile enchaînement de FOG : le Petit coin de paradis de Minc a pour exact antidote Vivre la fin des temps, de Slavoj Zizek. Le bonhomme, qui se veut théoricien, est à l’évidence un artiste du genre baroque-coco ; un athée, mais optimiste pour l’au-delà du prolétariat ; un révolutionnaire, mais pas pressé au point d’égorger tout le monde au nom du peuple.
La preuve : même Finkielkraut, il ne le condamne qu’à « six mois de camp de rééducation ». Pour un ennemi du peuple comme Alain, ça risque de faire juste.
Publié dans Valeurs Actuelles, le 17 mars 2011.