Je croyais en savoir assez sur Georges Brassens pour l’aimer ; eh bien, pas du tout. Il m’aura fallu attendre le trentième anniversaire de sa mort pour découvrir, au-delà de son œuvre, la personnalité du bonhomme, ô combien attachant et complexe. La télé, c’est-à-dire le service public, m’y a puissamment aidé. Passons sur la pénible fiction de France 2, où rien ne manquait, ni pipe ni moustache – hormis l’âme du chanteur, et sur le Brassens est en nous, de France 3, documentaire sérieux et exhaustif – presque trop.
Et arrêtons-nous, même chaîne autre doc, sur Brassens et la Jeanne. Son auteur, Delphine Deloget, nous y livre un captivant récit : l’apprentissage de la vie par “Jo”, petit Sétois cancre et limite fripouille, mais déjà passionné de poésie – et comment il a mué en cet ours chaleureux et toujours un peu paumé, dans la panade comme la gloire.
Ce conte, tout au long, a sa petite musique : l’inspiration de certaines de ses plus belles chansons, Brassens l’a naturellement puisée dans ses propres expériences.
La Mauvaise Réputation, c’est celle qu’il s’est faite dès l’adolescence. Entraîné par ses copains d’alors, Georges se retrouve condamné pour vol de bijoux à six mois avec sursis – sans parler de l’opprobre familial. Il y a fort à parier que c’est ce juge-là qui inspirera les mésaventures de son collègue dans le Gorille…
Bref, notre repris de justice est contraint de monter à Paris et l’Auvergnat, c’est ce poivrot humaniste de Marcel Planche qui le recueille dans son bouge de l’impasse Florimont, en 1943, quand Georges Brassens déserte le STO. La Jeanne, c’est l’épouse du Marcel, tombée folle amoureuse de Georges – qui est quand même de trente ans son cadet. N’empêche ! Leur histoire d’amour durera quand même deux ans et, par la suite, Georges sera toujours là pour elle.
Il faut dire aussi que la Jeanne est la première à croire en lui. Elle casse sa « maigre tirelire » (comme dirait Philippe Barthelet), pour publier son Georges à compte d’auteur et lui payer une guitare.
Mourir pour des idées ? L’idée vient à coup sûr de la fin dramatique du frère de Jeanne, résistant décapité par les nazis. Brassens ne se sent aucune vocation pour un tel martyre, il le dira même plus frontalement dans les Deux Oncles.
N’empêche ! Moi, mon colon, celle que je préfère, c’est la Guerre de 14-18 : cette chanson résume à elle seule tout ce que j’aime chez Brassens, et pour commencer le sens de la dérision.
Voilà quand même un bouffeur de curés devant l’Éternel qui n’hésite pas à aller à la messe pour faire plaisir ; un antimilitariste trois étoiles qui sympathise avec le général Bigeard sur le plateau de Pivot… Au-delà de ses opinions, a fortiori des miennes, et plus généralement d’un étiquetage qu’il détestait, Georges était surtout un mec bien. Modeste, gentil, généreux, pondéré. Si seulement tous les centristes étaient comme ça…
Publié pour Valeurs Actuelles le 3 novembre 2011