Le 9 janvier prochain, on fêtera le centenaire de la naissance de Richard Nixon. Enfin moi, parce que, quarante ans plus tard, l’Histoire n’a toujours pas réhabilité le trente-septième président des États-Unis.
Aujourd’hui encore Nixon reste, selon le titre du documentaire rediffusé l’autre soir sur la chaîne Histoire, « l’homme que vous avez aimé haïr ». Aussi absurde que ça puisse paraître, ses trente ans de vie politique, dont la moitié à la Maison-Blanche, semblent se résumer au scandale du Watergate.
Ce qui intéresse Patrick Jeudy, à juste titre, ce sont les vingt-huit années d’ascension et de gloire qui ont précédé cette chute. Une success story 100 % américaine qui voit ce fils d’épicier devenir tour à tour brillant avocat, sénateur de Californie, vice-président des États-Unis puis président lui-même.
La seule chose qui cloche, c’est le casting : notre héros n’a ni la gueule ni le profil de l’emploi. La classe politico-médiatique n’a jamais cessé de le considérer comme un intrus : vingt ans avant le Watergate, elle avait déjà surnommé Tricky Dicky cet homme qui, somme toute, aura moins triché qu’un Kennedy normal. La différence, c’est que Nixon, lui, n’a pas la carte. Aux yeux de cette petite élite endogame, il restera toujours un plouc à la réussite forcément suspecte. Au contraire, elle n’en est que plus méritoire. Avec ses origines modestes, son physique disgracié et son charisme de fonctionnaire, devenir vice-président à 39 ans ça relève de l’exploit.
Sept ans plus tard, en 1960, Nixon ne perd la présidentielle face au sémillant et télégénique JFK qu’avec 0,20 % de voix d’écart – et seule la légende transformera ce score à la Cocoe en triomphe à la César.
Mais le plus étonnant reste à venir : enfin élu en 1968, tous les historiens sérieux s’accordent à le reconnaître, Nixon-le-politicien-retors se mue en homme d’État. Il met ses qualités de ruse et de ténacité au service de son pays, et non pas de sa seule réélection.
Ce n’est certes pas par démagogie, ni même de gaieté de coeur que cet anticommuniste viscéral initie la détente avec l’Union soviétique, met fin à une guerre du Viêtnam devenue ingagnable ou reconnaît, à la surprise générale, la Chine populaire.
Nixon est réélu triomphalement en 1972, mais la roche Tarpéienne est près de la Maison-Blanche comme du Capitole : moins de deux ans plus tard, il est contraint à la démission dans le fracas et la honte de l’Affaire…
Inquiétante étrangeté du puritanisme américain, qui pousse un État à se décapiter aussi légèrement – avant de se greffer d’improbables têtes de Ford et de Carter. Décidément, malgré Tocqueville, je ne comprends toujours pas tout à la démocratie, surtout en Amérique.
Chez nous par exemple, c’est bien simple : si on avait dû changer de président à chaque broutille genre Watergate, on en serait au moins au cinquantième depuis 1958 !
Publié dans Valeurs Actuelles, le 6 décembre 2012