À l’instar du couple Montand-Signoret, de nombreux artistes et intellectuels français ont soutenu mordicus l’Union soviétique, de Staline à Brejnev, malgré son bilan globalement sanguinaire.
Les artistes et le Parti, 1945-1968 : sous ce titre, France 5 diffusait l’autre dimanche un documentaire consacré aux relations passionnées entre notre intelligentsia et le Parti communiste français, du temps où celui-ci n’avait pas besoin d’épithètes.
Sur la forme, rien à dire : les témoignages d’anciens compagnons de route sont émouvants à souhait, et l’empathie du commentaire contagieuse. Seul le fond pèche un peu par les libertés qu’il prend avec la vérité historique.
Et d’abord, pourquoi faire commencer toute l’affaire en 1945 ? Artistes et intellectuels n’ont pas attendu cette date pour être séduits en masse par le PCF, pas plus que celui-ci pour soutenir inconditionnellement le totalitarisme soviétique.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, voir encore dans l’empire stalinien et sa succursale locale l’incarnation d’un “avenir radieux” ne relève pas de l’espérance légitime mais d’un aveuglement coupable doublé d’une surdité volontaire.
À en croire les auteurs, c’est seulement en 1956, avec l’écrasement de l’insurrection hongroise, que les yeux auraient commencé à se dessiller : « Le doute s’est installé », dit sans rire Juliette Gréco, comme si Budapest avait été le premier manquement à la démocratie de la part du Kremlin.
Quant à Yves Montand, ses doutes sont si forts que, pour se faire une idée, il pousse la conscience (professionnelle) jusqu’à entreprendre une vaste tournée dans les pays de l’Est. Il en reviendra fort dépité : ses admonestations n’ont pas convaincu Khrouchtchev ! Mais pour le parti, l’essentiel est sauf : Jean Vilar et Gérard Philipe se disent « atterrés », mais sans plus ; Picasso garde sa carte, et Aragon sait trouver les mots pour évoquer « la fin sublime qui excuse les moyens horribles ».
Et notre documentaire de finir comme il a commencé : par une entorse à la vérité. La rupture irrémédiable entre communisme et intelligentsia daterait du printemps de Prague et de sa répression — pourtant dénoncée par le PCF, même mollement. Si ça se trouve au contraire, dans ces années de bouillonnement soixante-huitard, c’est le ramollissement du Parti qui le ringardise définitivement aux yeux de nos élites, face à une nouvelle extrême gauche plus jeune, plus “sexy” et autrement plus révolutionnaire.
J’en veux pour preuve la sidérante maolâtrie qui, malgré le délire sanglant de la Révolution culturelle, s’empare alors de nombre d’intellectuels, de Sartre & Beauvoir à Sollers et Godard, pour ne citer que les plus fameux.
Il leur faudra dix bonnes années encore, et la mode des “nouveaux philosophes”, pour découvrir les vertus des droits de l’homme et donner au monde entier, mais un peu tard, des leçons d’antitotalitarisme pur et dur… À la notable exception d’Alain Badiou qui, imperturbablement, à 76 ans passés, continue de plancher sur « l’hypothèse communiste ».
Article publié dans Valeurs Actuelles, le jeudi 2 mai 2013
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