Christine Angot est une personnalité paradoxale : ses livres sont terriblement ennuyeux, mais quand elle passe à la télé on ne s’ennuie jamais !
Telle la sociologie selon Pierre Bourdieu, la critique littéraire face à Christine Angot est un sport de combat. On en a encore eu la preuve l’autre samedi à On n’est pas couché : venue parler de son dernier opus, La petite foule, galerie de portraits d’humains avec animaux, l’écrivaine n’a laissé terminer aucune phrase aux deux chroniqueurs de Ruquier.
Il faut dire que ce soir-là, pour une fois accordés, Natacha Polony et Aymeric Caron ont chacun leurs réserves sur le bouquin, ce qui a le don d’insupporter Mme Angot. Dès le début l’ambiance est électrique, et les accrochages se multiplient au point qu’à chaque instant, on se demande si l’invitée ne va pas se casser, ou tout casser ! C’est même pour ça qu’on reste…
Natacha Polony, première envoyée au feu, attaque moderato cantabile : « Contrairement à vos livres précédents, commence-t-elle, celui-ci n’est pas une autofiction, c’est »… – « Je n’ai jamais écrit d’autofiction ! » tranche aussitôt l’autre. Allons bon ! Et les récits circonstanciés de ses liaisons avec divers people, identifiables au premier coup d’œil, et les deux livres consacrés à son viol par son père, c’était quoi donc ? De l’heroïc fantasy ?
Après diverses passes d’armes, Natacha en vient aux dernières pages du bouquin : une saynète intitulée L’oiseau, où Christine nous donne à entendre son « chant sublime », je cite : « Flouou, flou-ouhou, flou, flouhou (…) Hou-ou ; ouhou : ahhouhou. »
Là où d’autres auraient ricané, Mlle Polony hasarde juste une remarque : « Étrange, quand même, de terminer un livre sur quelque chose qui n’est pas du langage »… – « C’EST DE LA LITTÉRATURE, VOUS CONNAISSEZ ? » crache Angot, si violemment qu’elle s’attire les huées d’un public à peine réveillé.
Autant vous dire que, quand vient le tour de Caron, notre autrice est déjà en surchauffe. D’emblée, elle met les choses au point : simple lecteur parmi d’autres – tant d’autres ! – ce monsieur a tout juste le droit d’émettre « des avis ; pas des critiques ! ».
Ça tombe bien ! L’inconscient a justement un avis sur le style angotien : « Certaines constructions de phrases sont maladroites… » ose-t-il. Aussitôt l’aigle de fondre sur le renardeau herbivore, prenant à témoins Ruquier et la « petite foule » du public : « Il a dit « maladroites » ? Non mais, je rêve ! Aymeric Caron dit que j’écris des phrases maladroites ! JE REVE !!! »
Pourtant, l’exemple cité par le chroniqueur pose bel et bien question. Peut-on raisonnablement écrire, même à propos d’une affaire « importante » : « Elle voudrait qu’on soit conscient de à quel point ça l’est pour elle » ? Et si oui, en quelle langue ? « Dans le langage de la pensée », réplique l’autre du tac au tac : « J’écris la langue telle qu’elle se pense ! » Décidément, on ne peut pas lutter.
Et puis, les jaloux peuvent toujours critiquer ! Dame Angot est quand même capable des plus étonnants miracles : vendre à cent mille exemplaires des bouquins dont personne ne pige le sens, ni même l’objet, et en plus me rendre sympathique l’ami Aymeric… Chapeau, Angot !
[Article publié dans Valeurs Actuelles le 4 avril 2014]