À ses débuts la télé, c’était 100 % de direct ; aujourd’hui, 10 % seulement… À ce rythme, il n’y aura bientôt plus de matière pour les bêtisiers de fin d’année !
Vu sur Paris Première, Soixante ans de télé. En partenariat avec l’INA, la chaîne revient sur six décennies d’images dans un documentaire de 7 heures en 5 volets, s’il vous plaît ! Faute de pouvoir tout vous raconter, j’ai choisi l’épisode consacré au direct qui, comme dit si bien le dossier de presse, est « l’ADN » de la télé.
Aux origines de la télévision, tout est en direct, même les fictions ; dans Les cinq dernières minutes par exemple, les acteurs jouent sans filet ! Mais Bon Dieu, c’est bien sûr, il en faudrait plus pour déstabiliser l’inspecteur Bourrel…
Grâce à l’étrange lucarne, les téléspectateurs vivent désormais l’histoire en direct. Tout commence en 1953 avec le couronnement d’Elizabeth II. À l’époque, seuls 1 % des Français ont la télé ; mais entre voisins on partage le canapé devant le poste, et les PTT ont aimablement installé des écrans au coin des rues. Résultat : au lendemain du royal événement, les ventes de récepteurs vont tripler, malgré leur coût prohibitif.
Le 21 juillet 1969 à 2h du matin (heure de Paris), même les enfants sont devant le poste pour assister aux premiers pas de l’homme sur la Lune. Michel Anfrol, qui tenait l’antenne cette nuit-là, le reconnaît aujourd’hui non sans amertume : dans l’affolement général, il a raté la phrase historique d’Armstrong !
Le plus amusant dans ce doc, pour un esprit superficiel comme le mien, ce sont les « aléas du direct », à commencer par ces fameux « incidents-techniques-indépendants-de-notre-volonté » qui feront ensuite le bonheur des bêtisiers.
Le plus mémorable de ces incidents, c’est l’affaire dite de « la grue de Latche ». À l’occasion du Nouvel An 1983, Mitterrand a prévu de s’entretenir avec quatre journalistes durant le 20 h d’Antenne 2. Mais pas question pour lui d’interrompre ses vacances landaises, fût-ce pour « monter à Bordeaux ». Il recevra donc ces messieurs sur ses terres de Latche, et une grue de 43 m louée pour l’occasion servira d’antenne. Au diable l’avarice !
Sauf qu’à l’heure dite, ladite grue n’est pas là… Pendant vingt-cinq longues minutes, ce pauvre Noël Mamère, alors présentateur du J.T., s’échine à meubler, quitte à raconter n’importe quoi ; en vain ! L’engin n’arrive toujours pas…
Finalement, l’interview sera remise au lendemain, et à l’antenne le président, bonasse, fera mine de ne pas s’en formaliser ; mais quinze jours plus tard, la tête du directeur de la SFP tombera avec un bruit sec.
Les vrais pros de la télé, eux, savent gérer les pires situations, et même en tirer profit… À preuve cet Intervilles Dax-Carcassone de 1967 où, suite à une bousculade dans les tribunes, Léon Zitrone a égaré ses lunettes. « Je n’y vois plus rien ! » lance-t-il en un cri déchirant, avant de disparaître de l’écran… Aussitôt son compère Guy Lux rebondit, non sans dramatiser l’affaire : « Allô Léon, vous m’entendez ? … Allô Dax, que se passe-t-il ? […] Quelqu’un peut-il me donner des nouvelles de Léon ? […] ( L’angoisse monte…) On me dit qu’il est allé se faire soigner […] J’espère, nous espérons tous que ce n’est pas trop grave ! »
Pas trop, en effet ! Après cinq longues minutes revoilà notre Léon intact, avec même ses lunettes sur le nez : « Je voudrais d’abord rassurer ma famille… » ose-t-il, comme s’il venait d’échapper à un attentat. Quant à Guy Lux, il aura quand même tenu l’antenne tout ce temps-là tout seul, et avec rien à dire… Chapeau, les artistes !
Un cafouillage si magistralement géré que les téléspectateurs, loin de zapper sur la deuxième chaîne, se sont passionnés pour ce vrai-faux suspense… Un grand moment de télévision ! Aujourd’hui hélas, le direct ne représente plus que 10 % des programmes ; la télé a perdu son « ADN » ! Dans le genre impromptu, reste bien sûr les happenings des « intermittent du spectacle » au beau milieu des J.T., César, Molière, etc. Mais l’événement est devenu tellement rituel qu’il pourrait presque figurer dans les programmes.
[Publié dans Valeurs Actuelles]