Bibliothèque Médicis : tels sont le nom et l’adresse de l’hebdo culturelle animée par Jean-Pierre Elkabbach sur Public Sénat (vendredi, 22 heures). À sa table, romanciers, scientifiques et essayistes sont invités à débattre, leurs livres à l’appui, de thèmes qu’ils ont en commun. Enfin, c’est comme ça que ça se passait d’ordinaire… Vendredi dernier, tout change : le journaliste est seul face à Richard Millet, et il s’en explique d’emblée : « J’ai eu beau chercher… Personne n’a voulu venir débattre avec vous ! »

Depuis quelques années déjà, l’incontrôlable écrivain était dans le collimateur du Milieu littéraire. Avec son provocant Éloge littéraire d’Anders Breivik, il lui a donné l’occasion tant attendue d’appuyer sur la gâchette. Dénonciations, pétition, opprobre, “mort sociale” – et maintenant, enterrement sous un silence de plomb : telle est la sanction, qui présente l’avantage d’éviter un procès contradictoire. Millet ne s’est-il pas condamné lui-même avec cette apologie froide d’un meurtrier de masse aux motivations racistes ?
L’affaire est un peu plus complexe en vérité, comme le soulignait Bruno de Cessole (Valeurs actuelles3954 et 3956). Derrière le provocateur se cache un imprécateur : « Millet […] condamne le geste du tueur, en qui il voit le symptôme et la sanction de la décadence et du laxisme occidental […]. » Mais tout le monde n’a pas la chance de lire Valeurs ! Il faut donc saluer la détermination d’Elkabbach qui, passant outre les consignes de boycott, a décidé de donner quand même la parole à l’ostracisé – quitte à le pousser dans ses retranchements, y compris inconscients.
Bref, il a fait son boulot d’intervieweur, tout simplement ; mais c’est en soi un événement, compte tenu du climat de fanatisme intellectuel qui entoure cette affaire – ou plutôt qu’elle révèle. Parce que le plus intéressant dans ce débat, au fond, c’est qu’il n’y en a pas ! Plus l’idéologie dominante est bousculée par les faits, moins elle souffre la contradiction. Chez ces gens-là, Monsieur, on ne débat plus qu’entre soi.
Les autres, tous les autres, sont rejetés dans les ténèbres extérieures – sur lesquelles le Nouvel Obs a heureusement fait toute la lumière le mois dernier dans un dossier, « Les néofachos », déjà collector. Elle est là, la vraie “affaire Millet” : dans ce qu’elle nous apprend sur l’hystérisation du débat public. Déçu déjà par sa propre gauche, le “Camp du Progrès” retourne sa colère contre une droite d’où, par définition, nous vient tout le mal.
Dorénavant, chaque adversaire idéologique sera décrété “ennemi de la démocratie”. Et au passage du saint sacrement antiraciste, on sera prié de s’agenouiller sous peine d’être brûlé pour hérésie – en effigie pour commencer.
Qui donc arrêtera ces nouveaux Robespierre et leurs absurdes fatwas laïques ? Les faits sans doute, qui sont encore plus têtus qu’eux.

À lire :
De Richard Millet, aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux :
Langue fantôme suivi d’Éloge littéraire d’Anders Breivik, 128 pages, 16 €.
De l’antiracisme comme terreur littéraire,
96 pages, 14,90 €.
Intérieur avec deux femmes, 144 pages, 16,90 €.

Article paru dans Valeurs Actuelles, le 18 octobre 2012.

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