Vendredi soir dernier, au moment où je m’y attendais le moins, je suis devenu rocardien. À l’occasion de la sortie de ses Mémoires, notre ancien premier ministre était l’invité de Giesbert (Semaine critique ! vendredi 5 novembre à 23 h 15).

Le titre, Si ça vous amuse, fait référence à la réponse que lui balançait invariablement Mitterrand quand il prétendait s’aventurer dans son “domaine réservé” – c’est-à-dire où que ce soit. Le président Mitterrand, qui méprisait puissamment Rocard, ne l’avait pas nommé à Matignon sans quelques arrière-pensées, qu’il distillait volontiers en privé : « Au bout de dix-huit mois, on verra au travers. »

En fait, Rocard a tenu plus longtemps que Bérégovoy, et en plus il a survécu ! Aujourd’hui encore, il faut l’entendre affirmer benoîtement qu’entre Mitterrand et lui, il n’y eut jamais de problème personnel : juste des désaccords de fond. En gros, pour l’un la politique est affaire « de force et de ruse », quand pour l’autre tout repose sur « la négociation, le contrat et la confiance ». Machiavel contre Darty : devinez qui est qui !

Bref, on n’avait jamais vu Michel Rocard aussi souriant et détendu – sans même parler de sa forme intellectuelle. C’est bien simple : à 80 ans, il en fait quinze de moins ! Aurait-il brusquement cessé de vieillir à la mort de Mitterrand ? En tout cas , cet homme-là est un plaidoyer vivant pour la réforme des retraites – qu’il approuve d’ailleurs entièrement. Son seul reproche porte sur la méthode : Sarkozy, dit-il, n’a pas fait tout ce qu’il pouvait pour négocier – à l’instar des Allemands ou des Suédois : il a voulu « passer en force, en touchant inutilement à des symboles ».

« D’accord, ajoute-t-il, souriant à l’avance de son audace, en France c’est plus difficile qu’ailleurs de négocier : les syndicats sont trop petits et trop divisés ! Mais on peut les y contraindre… » Rien que pour un aimable raccourci comme ça, je vote Rocard dès le premier tour. Hélas, on me fait signe qu’il n’est plus candidat à rien ; mais bon, si ça se trouve, il n’y a pas de hasard !

Ce que j’aime chez le Michel nouveau, c’est justement qu’il parle comme vous et moi ou presque – en tout cas sans les figures rhétoriques qu’imposent l’exercice du pouvoir et la course pour. Un type capable de citer malicieusement Marx pour expliquer son soutien de social-démocrate au réformisme sarkozyste, moi je dis que ça anime une soirée !

Publié dans Valeurs Actuelles, le 11 novembre 2010.

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