Lundi dernier, tel le Parrain, France 3 m’a fait une offre que je ne pouvais pas refuser : une soirée spéciale Michel Audiard. Au programme, en prime time, un documentaire inédit signé Jérôme Revon sur Audiard et sa bande (Blier, Gabin, Ventura). En cette année où les célébrations sont sujettes à polémiques, on peut s’interroger sur les raisons de celle-ci. Michel aurait, le 15 mai, pile 91a ns. Drôle de date pour une commémoration !
Mais qu’importe : elle vient à point nommé pour nous rappeler que le bonhomme est mort il y a vingt-six ans déjà, à 65 ans seulement ! Étonnant, n’est-ce pas, alors que d’autres cinéastes de sa génération lui ont survécu si longtemps, sans raison apparente ? Mais bon, les voies du Seigneur sont impénétrables. Est-il permis néanmoins de regretter l’oeuvre dont cette mort prématurée nous a privés ? Surtout qu’elle est intervenue juste après un virage prometteur dans le parcours d’Audiard. Garde à vue, en particulier, était empreint d’une gravité que nos clercs ne soupçonnaient guère chez cette espèce de vulgaire gavroche qui n’aurait même pas lu Rousseau.
C’est ça, le drame de notre époque : un étrange “esprit de sérieux” qui se prend pour le sérieux. Du coup, il confond tout avec autorité, la légèreté et la superficialité, la profondeur et les semelles de plomb.
Au tournant des redoutables décennies 1960-1970, ils étaient venus, ils étaient tous là pour dénoncer Audiard ! Les mandarins de notre intelligentsia altermaoïste d’époque, les ayatollahs de la critique et les surfeurs de la nouvelle vague : tous unis pour rejeter le voyou à casquette dans les ténèbres extérieures à l’art ! Au mieux, c’était un faiseur débitant à la chaîne du “cinéma de papa” ; au pire un poujadiste carrément réac, voire fachoïde.
Il s’en tamponnait le coquillard, Audiard ! Il s’était déjà exprimé sur les cons en général et les intellos en particulier, et même sur ladite nouvelle vague, « plus vague que nouvelle ».
Il s’en moquait d’autant plus qu’il ne devait rien à ce petit monde et n’en attendait pas plus. Prolo de chez prolo, élevé par son parrain en l’absence de parents, faute d’ascenseur social il avait pris l’escalier de service sans rater une marche.
Livreur de journaux, pigiste, critique cinéma, Audiard a fini par se rendre indispensable comme dialoguiste, puis aussi comme scénariste, au point de bosser sur cinq films à la fois.
Il se moquait de sa “mauvaise réputation” – et pourtant ça a dû le réjouir de voir, même un peu tard, ses anciens contempteurs lui découvrir soudain toutes les qualités, et même de jeunes réalisateurs se réclamer de lui.
S’il se moquait de tout ça, c’est qu’il n’était pas pressé ! « L’idéal, quand on veut être admiré, c’est d’être mort. » Et c’est vrai que, vingt-six ans après sa disparition, jamais Michel Audiard n’a été aussi consensuel. Même que ça doit commencer à lui courir sur le haricot.
Publié sur Valeurs Actuelles, le 3 mars 2011