Le Petit Journal, vous connaissez ? C’est tous les soirs à 20 h 05 sur Canal+. Oui je sais, “vous n’avez pas la télé” ; mais vous lisez bien une gazette ? Sachez en tout cas, mon cousin, que tout Paris n’est bruit que de ce programme satirique, dans les rédactions, les états-majors et les cours de récré.
La campagne présidentielle inspire visiblement l’animateur Yann Barthès et ses complices, qui adorent démonter les rouages de la communication politique pour mieux nous montrer ce que les JT n’ont pas vu, ou “ne sauraient voir”.
Tout le monde en prend pour son grade : c’est Sarkozy resservant, à six mois d’écart, le même discours à la virgule près. C’est, au sortir d’une réunion commune, Hollande et Aubry récitant tour à tour la fiche argumentaire qui leur a été distribuée. C’est François Bayrou s’engouffrant dans une Audi après avoir martelé : « Produisons français ! » C’est Jean- Luc Mélenchon écumant les plateaux télé pour tempêter partout qu’on ne l’invite nulle part !
Parfois aussi, c’est de la pure mauvaise foi. Ainsi de ce reportage faisant passer les partisans de Nicolas Dupont-Aignan pour des buses, qui n’ont rien compris au discours de leur chef : on les a interviewés avant, tout simplement ! Il faudra du temps à nos petits Zorro du bidonnage pour admettre le leur – qu’ils préféreront d’ailleurs appeler “erreur”…
Mais bon, dans l’ensemble c’est drôle, parfois instructif, et ça ne mange pas de pain. Parce que enfin, si quelqu’un change d’avis après avoir vu cette émission, c’est qu’il n’en avait pas !
Alors pourquoi réclame-t-on soudain ici et là, et surtout à gauche, que la carte de presse soit retirée au Petit Journal ? Au nom du « respect des faits, base du journalisme », figurez-vous. Trêve d’hypocrisie ! La presse, ce n’est pas l’AFP. Sélectionner les faits, les hiérarchiser, c’est déjà poser sur eux un regard subjectif, avant tout commentaire. Autant dire que la “loi” de séparation quasi laïque entre faits et commentaires est aussi irréaliste que son ancêtre la fameuse “objectivité” journalistique.
Au-delà de ce faux procès, ce qui tarabuste et divise le “camp du progrès”, c’est la vraie nature du mélange des genres barthésien : rafraîchissante impertinence ou néo-néopoujadisme démobilisateur ?
Phénomène générationnel, en tout cas. Après les engagés et les enragés, les déçus et les désengagés, voici une nouvelle génération résolument dégagée. Ces jeunes gens sont revenus de tout sans même avoir eu besoin d’aller quelque part : leurs parents l’avaient fait pour eux.
Le dandysme indifférentiste affiché par le Petit Journal est un pur produit de l’époque. Mais après tout, mieux vaut ne croire à rien qu’à n’importe quoi ! Si ça se trouve, ce progrès dialectique restera même dans l’Histoire comme le seul dont puisse se prévaloir le XXIe siècle par rapport à ses prédécesseurs.
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Publié pour Valeurs Actuelles, le 23.02.12