Il m’a fallu du temps pour me remettre de l’impressionnant documentaire signé Nicolas Jallot, le Dissident du KGB (Arte, jeudi 18 novembre, 22 h 55). C’est l’histoire, admirable et infiniment triste, de Viktor Orekhov, officier renégat des services secrets soviétiques.

Au tournant des années 1970 ce jeune capitaine, bon patriote, bon communiste et bon petit soldat, est nommé à la 5e division du KGB, chargée de la lutte contre “l’ennemi de l’intérieur” : les dissidents.

Bien vite, hélas pour lui, sa conscience professionnelle va entrer en conflit avec sa conscience tout court. La lecture de Soljenitsyne (que lui permet son boulot) puis un voyage au Japon (pour surveiller le Bolchoï !) lui ouvrent les yeux sur les mensonges fondateurs de ce pouvoir qu’il servait avec enthousiasme.

Aussitôt notre idéaliste kagébiste vire sa cuti : désormais, ce sont les dissidents qu’il informera, quitte à balancer à ses patrons des rapports bidons.

Bien sûr, ce genre de blague ne peut pas durer longtemps, notamment en régime totalitaire – et Viktor est bien placé pour le savoir. Simplement, il ne peut pas faire autrement… Démasqué au bout de deux ans, à cause de l’insoutenable légèreté de ses protégés, il prend huit ans de goulag sans sursis.

Quand il sort finalement, en 1986, tout a changé : c’est déjà la perestroïka, et bientôt le démantèlement de l’empire puis la fin de l’Union soviétique. Tout a changé, sauf pour lui : ses anciens patrons n’ont changé que de nom et le FSB, avatar du KGB, le poursuit de sa vindicte, tel un Terminator décapité.

Sous un prétexte grotesque (un pistolet factice trouvé dans sa voiture), le voilà renvoyé en “camp de rééducation par le travail” pour “récidive” !

Et le cauchemar n’est pas fini. À sa deuxième sortie de prison, notre héros trouve certes un boulot de manutentionnaire, mais toujours moins d’amis que d’ennemis. Averti à temps par l’ambassade américaine d’un projet d’assassinat, il accepte la mort dans l’âme l’asile politique qu’on lui offre.

C’est ainsi que, depuis douze ans, Viktor Orekhov vit aux États-Unis, ou plutôt y survit. Parachuté au fin fond d’un de ces nulle part dont la vaste Amérique a le secret, il partage son temps entre son nouveau job (livreur de pizzas !) et son vieux hobby : la pêche.

D’ailleurs, quand le désormais vieux Viktor accepte de parler de sa vie, c’est pour se comparer à un poisson pêché. De ceux qui, n’ayant même pas eu la chance de « finir dans la poêle à frire », seraient « condamnés à pourrir dans un petit bocal ! […] C’est exactement ce que je ressens ici. »

Tout est dans le “ici” : l’ex-capitaine est un reproche vivant à sa patrie charnelle, à laquelle il a tout sacrifié, et où il ne peut même pas rentrer mourir en paix. Bon, je vous avais prévenus : c’est beau mais c’est triste, comme le Livre de Job sans le happy end.

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