Quand Buisson sort un documentaire sur les écrivains et la Grande Guerre, Télérama sort son revolver…
Si je mourais là-bas, ou la Grande Guerre racontée par les écrivains qui l’ont faite, de Barbusse à Jünger en passant par Duhamel et Cendrars. Tel est le thème de l’impressionnant documentaire de Patrick Buisson diffusé lundi dernier sur la chaîne Histoire.
Pour l’auteur, ce sont les plumes trempées dans le sang qui nous disent la plus profonde vérité sur l’homme en guerre. La force du sujet les délivre au besoin du maniérisme et du bavardage. L’épreuve du feu laisse chacun d’eux face à lui-même et au sens qu’il donne tout compte fait au mot « sens », quand il s’agit de vie et de mort.
Parmi ces écrivains combattants, note l’auteur, « aucun n’a vu la même chose, mais tous ont été les témoins d’une époque, presque incompréhensible de nos jours, où le corps collectif pouvait mobiliser les corps individuels et exiger d’eux jusqu’au sacrifice suprême. »
« Presque incompréhensible », dit Patrick ? Totalement hermétique en tout cas aux cervelles post-modernes de Télérama, qui fait à ce superbe survol historico-littéraire les honneurs d’un tiers de page, mais pour mieux le dézinguer.
Chez nos amis les télérameurs, la sélection (même s’ils n’aiment pas le mot), se pratique à coup de « T ». Ça peut aller de quatre T pour les chefs d’œuvre labellisés à rien du tout pour les daubes. Mais rares sont les programmes qui, comme celui de Buisson, héritent de l’infamant « Moins », illustré par un sens interdit sur fond noir.
Impitoyable réquisitoire de la procureuse locale Hélène Rochette : « Ce récit incantatoire réfute toute contextualisation » ; mais de quoi parle-t-elle au juste, la dame en rouge et noir ? Vingt écrivains pris dans la tourmente de la Grande Guerre, c’est pas un contexte, ça ?
Cela dit, inutile de plaider, la cause est entendue dès le paragraphe suivant : « On ne peut accorder le moindre crédit documentaire » à ce film. La faute, que dis-je le crime de l’auteur, c’est de n’avoir pas fait le tri qui s’imposait entre les écrivains combattants de la Première guerre mondiale, en fonction de leur comportement durant la Seconde !
Apollinaire et Péguy ça va, et pour cause ; Dorgelès et Bernanos, passe encore ; mais Céline et Drieu, n’est-ce pas… De toute façon, suggère notre critique, qu’attendre d’autre d’un « ex-conseiller de Sarkozy et ancienne plume de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute » ?
Tout est dit ! C’est même sur la seule base de cette bio expresse que la présidente Rochette aura instruit, plaidé et jugé tout le dossier, comprend-on in fine.
Aveuglé par la haine, mon hebdo télé préféré à cru voir dans ce documentaire ce qu’il y cherchait : un louche « esthétisation de la boucherie de 14-18 ». Mauvais procès d’un tribunal illégitime, qui juge sur des préjugés !
Dans le foisonnement des citations qui accompagnent ce film, nulle trace d’exaltation guerrière, mais plutôt le récit quotidien d’un horreur inhumaine. Tel un chœur antique, les écrivains témoignent d’une seule voix de cette sanglante tragédie, au sortir de laquelle les combattants, même indemnes, seront tous des « Gueules cassées ». Pour ces survivants à la longue nuit de 14-18, comme l’écrit Apollinaire, « le jour n’existe plus, le soleil s’est noyé ».
Face à ce vertigineux cauchemar, chacun réagit en fonction de sa nature. Au pacifisme misanthrope et malpoli de Céline répond l’élan patriotique et mystique de Péguy : « Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles / Couchés dessus le sol à la face de Dieu ». Ce serait donc lui, et non pas Céline ni Drieu, l’incarnation du Mal dénoncé par Télérama ?
Trêve de balivernes, j’adresse à Patrick Buisson un conseil amical : quand il sera d’humeur à badiner, qu’il vende donc un de ses prochain docs sous pseudo à France 5 ou LCP – quitte à jeter le masque dès qu’il aura reçu ses précieux « T »… En attendant, l’histoire et la littérature sont écrites par Télérama et les siens. C’est même pour ça qu’il n’y en a plus.
[Article publié dans Valeurs Actuelles]