L’autre soir sur France 2 : un numéro de l’émission Un jour, Un destin consacré à Jacques Martin. L’histoire que nous conte ici Laurent Delahousse est bien triste. Certes, la carrière de l’animateur en ferait rêver beaucoup ; mais Martin était du genre jamais content.
D’abord il “aurait voulu être un artiste”, et ça a mal commencé : en 1967, il s’investit à fond dans Petit Patapon, une comédie musicale de son cru. L’échec public et critique de cette oeuvre est une plaie qui ne se refermera jamais tout à fait…
Parallèlement, Jacques Martin connaît le succès à la radio, puis à la télé. Son Petit Rapporteur rapporte même gros : vingt millions de téléspectateurs en moyenne ! Content, Jacques ? Pensez donc ! Jaloux du succès de Pierre Desproges qu’il a lui-même repéré, il le pousse vers la porte à coups d’humiliations – quitte à saborder l’émission…
Malheureux mais chanceux, Martin rebondit sur Antenne 2, qui offrira même à ce saltimbanque un vrai théâtre, un vrai public – et sept heures d’antenne le dimanche après-midi ! Délesté de ses chroniqueurs, donc de ses problèmes d’ego, il va pouvoir s’épanouir dans son rôle de Maître Jacques, assurant seul l’animation de toutes les séquences. L’apogée d’audience, c’est bien sûr l’École des fans, où Martin excelle dans l’art d’interviewer « les petits garçons et les petites filles ». À 45 ans passés, le jeune gandin s’est mué en Jean Nohain – et une fois de plus, le public est au rendez-vous !
Alors heureux, le Jacques ? Vous n’y songez pas ! Le pauvre est de plus en plus hanté par sa vocation rentrée. Lui qui s’était rêvé chanteur et danseur, comédien et tragédien, auteur et metteur en scène, il ne sera donc jamais qu’un animateur télé !
« Tu pleureras l’heure où tu pleures », disait Apollinaire. Il faudra que Jacques Martin soit viré sans préavis par France 2, après vingt ans de bons et loyaux services, pour mesurer enfin le bonheur qu’il perd. Sauf que ce coup-là lui sera fatal. Dès le lendemain de son éviction, il fait un AVC qui le laisse diminué, mais surtout aigri par l’ampleur des dégâts. Sa carrière est définitivement derrière lui ! Une fois éteints les feux de la rampe qui éclairaient sa vie, pourquoi s’y accrocher ? Il se laisse glisser dans la pénombre, s’enferme dans ses souvenirs, s’exile à Biarritz et finit par mourir d’un cancer opportuniste.
Le clown triste, ce n’était donc pas seulement un cliché. Le boute-en-train intarissable à la scène et taciturne à la ville, ça existe vraiment ! Ça vit, ça souffre et ça s’appelle Martin comme tout le monde – même si ça fait le Jacques ! Mais que faire d’autre dans ce monde désenchanté, où il n’y a plus d’après ni d’ailleurs ?
Repose en paix, Jacques ! Grâce à toi, je regrette un peu moins de ne pas être une vedette.
Publié dans Valeurs actuelles, le 10 janvier 2013