« I suddenly had a dreadful memory, the memory of a day when she had been naughty and had been locked in her room all afternoon instead of going bathing. That night she had said to her mother, quite calmly, « You made me very unhappy keeping me away from the sea. One day, if I get really unhappy I shall swim out into the sea, down the path of the moon or the sun, and go on swimming until I sink. So there! » »
Ian Fleming,
On Her Majesty’s Secret Service, chapt. 5.


La première fois que je suis allé sur la plage d’Erbajo, c’était en 1971. J’étais avec I***, et nous avons difficilement franchi une grande zone de maquis épais et épineux pour accéder à ces deux kilomètres de grandes dunes d’un sable parfaitement blanc, piquetées çà et là de genévriers. La plage elle-même dessine une courbe très évasée, qui s’achève au nord sur l’embouchure d’une rivière presque toujours à sec en été — un marécage infesté de moustiques en est l’ultime témoignage. Le sable est granuleux, dans cette région granitique, et ne colle pas à la peau. Quant à la mer, elle est sublime — à ceci près qu’un rouleau perpétuel est visible à trois mètres du bord, avec une descente très rapide à trpis mètres de profondeur, conditions idéales pour que les enfants se noient. D’où la solitude du lieu. Les vacanciers préfèrent s’entasser dans la crique sableuse de Roccapina, de l’autre côté du lion qui veille sur ces paysages solaires.
J’y suis retourné seul plus tard, puis avec J-C. Nous faisions des joggings le long de ces deux kilomètres, en courant sur la bande où viennent mourir les vagues, afin d’accroître la difficulté.
Parallèlement à la mer…

C’est là que l’idée m’a frappé pour la première fois. Nous longeons la plage, nous nous risquons parfois à une petite incursion dans les cent premiers mètres de mer, mais nous hésitons à opter pour la perpendiculaire pure, et nager, nager jusqu’au bout de l’horizon, qui comme chacun sait est un farceur qui recule sans cesse.
Ce serait un procédé courageux pour mourir : nager vers le couchant comme Crin-Blanc, le cheval blanc du film d’Albert Lamorisse, sorti l’année même de ma naissance, et qui se termine par une fuite désespérée vers le large, l’enfant sur le dos de l’étalon, pendant que monte une chanson parfaitement optimiste :

« Un jour un enfant sauvage
Plus simple que le vent
Voulut donner en partage
Tout son cœur à Crin-Blanc

Ils ont bien su se comprendre
Ils étaient du même sang
Ils ont bien su se défendre
Du mensonge des grands… »

J’ai vu le film quand j’avais 6 ou 7 ans. Et je me suis dit ce jour-là — je n’avais aucune raison particulière de penser à la mort — que c’était sûrement une fin héroïque, quand on en avait marre du monde des « grands ». Je n’avais pas encore lu Ian Fleming, que j’ai découvert à 10 ans.
J’y ai repensé en allant faire du cheval sur les grandes plages du Languedoc, quand j’y habitais. J’avais un appaloosa magnifique — voir ci-dessus —, que mon ex-femme a vendu pour une bouchée de pain, sans me prévenir, un jour où j’étais allé travailler. Le manège qui en avait fait l’acquisition n’a jamais pu le faire travailler, il ne se laissait pas monter par d’autres que moi, et on a fini par le vendre à des bouchers. Un beau cas de divorce.
Et d’ailleurs…

Cesser de rester parallèle aux vagues. Oser la perpendiculaire. Nager tout droit, vers le soleil ou vers la lune. Se heurter aux vagues, frontalement. Et, à bout de fatigue…
Quelle belle métaphore de ce qu’on appelle la vie…

Jean-Paul Brighelli

PS. La citation initiale n’est là que pour prouver aux hilotes que Fleming est un très grand écrivain.

21 commentaires

  1. 🥰 ! émoti(f)cone, pour la sublime photo d’ouverture, et ce qui la suit.

    (Qu’il pleuve ou qu’il vente, très tôt le matin, ou tard le soir, le flic d’Aro Sáinz de la Maza, descend à la plage, et se lance, face aux vagues, à toutes les vagues, et tient bon,
    accompagné de « Mon vieux », chien fidèle, qui pourtant n’aime pas particulièrement l’eau.)

    Ne perdez pas pied ! résistez ! Il n’est nullement encore question de lâcher prise !

  2. Le Maestro
    « … J’avais un appaloosa magnifique — voir ci-dessus —, que mon ex-femme a vendu pour une bouchée de pain, sans me prévenir, un jour où j’étais allé travailler.  »

    La salooope!

    • L’histoire du cheval vendu en douce par l’épouse a déjà été racontée par le Maestro.

      Dans mon souvenir,ce n’était pas qu’un cheval mais plusieurs…achetés (ainsi que des terres) avec l’argent de La Fabrique du Crétin.

      Il faudra que je vérifie.

      Cela dit,pour pouvoir vendre un cheval,ne faut-il pas posséder un titre de propriété ?

      La salooope!

      Salope n’est pas le féminin de salaud; »salooope! » m’évoque le sketch de Guy Bedos.

  3. Les vacanciers préfèrent s’entasser dans la crique sableuse de Roccapina,

    Bon endroit pour se faire sucer la pine;ça vaut bien un ascenseur; On trouve des filles

    complaisantes qui si vous leur offrez une pina colada vous pomperont le dard,sur la plage de

    Roccapina,au coucher du soleil.

  4. Le sable est granuleux, dans cette région granitique, et ne colle pas à la peau.

    C’est plutôt rare.

    S’allonger directement sur le sable ? Ou poser une serviette sur le sable ? Peu confortable.

    En Sardaigne,sur certaines plages, c’est interdit,car le sable tend à disparaître;il est obligatoire de venir avec un rafia et de bien le secouer avant de repartir afin de ne pas emprter de sable avec soi.

    Lormier recommande le Tyvek,matériau extrêmement léger qui isole très bien; S’il faut marcher pour accéder à la plage,ce sera apprécié; D’autre part,dans les avions, où le poids des bageges est de plus en plus limité, ce ne sont pas les qquelques dizaines de grammes de votre Tyvek qui vous coûtreont le plus cher en suppément de poids

    https://luxeoutdoor.de/en/Tyvek-Footprint-Size-XL–210-x-210-cm.html?srsltid=AfmBOop9y7og5tMYIy_54Dqd7aziJwm1Qs1j1J1pgmXLkPOU7c3yWicj

  5. Si vous voulez creuser rapidement,si le sable est un peu grossier,contient du gravier,prenez une pelle à caca. Elle fut inventée par les randonneurs longue distance américains,soucieux d’enterrer leurs ,c’est de l’aluminium aéronautque;la rigidité est obtenue par un ingénieux système de pliscrottes.Mais ça marche très bien dans le sable;très léger.

    https://thetentlab.com/Deuce/DeuceofSpadespage.html

  6. Un philosophe stoïcien (dont j’ai oublié le nom) décida de « rejoindre le grand tout » en nageant jusqu’à l’épuisement.

  7. opter pour la perpendiculaire pure, et nager, nager jusqu’au bout de l’horizon, qui comme chacun sait est un farceur qui recule sans cesse.

    Tenter d’atteindre la ligne d’horizon…ne fut-ce pas le projet du Maestro ? Tout lire…subordonner son activité sexuelle à l’étude du plaisir féminin (et de la nature féminine),en acceptant l’idée que l’horizon est inatteignable.

    Le névrosé,lui, n’accepte pas:il se rend malade parce que l’horizon recule.

  8. J’y suis retourné seul plus tard, puis avec J-C. Nous faisions des joggings le long de ces deux kilomètres, en courant sur la bande où viennent mourir les vagues

    Devinette:quelles traces sont les plus marquées ?

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