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Le discours médiatique compose en permanence un monde idéal présenté comme réel. Conséquence logique : quand la réalité entre en conflit avec celle qu’on veut nous peindre, c’est le réel qui ment.

Nous sommes habitués à cela : nous savons par exemple que les méchants musulmans ne sont pas de vrais musulmans. Ils « se prétendent » musulmans mais ils « n’ont rien à voir avec l’islam ». Pire, ils trahissent l’islam qui est une religion de paix et patati. On pourrait imaginer que les prêtres pédophiles soient considérés comme des « soi-disant catholiques ». Ce n’est pas le cas et c’est normal. On peut être une ordure tout en étant catholique. La question, après, reste de déterminer si on est une ordure parce qu’on est catholique et on se rappelle que France 2 a récemment tranché en faveur de cette thèse. Pour l’instant, l’islam s’en sort bien puisqu’il n’est pas tout à fait bien vu de dire qu’être musulman rend potentiellement dangereux.

Un imam « prêcheur de haine » (selon la formule consacrée) est un imam « autoproclamé ». Et peu importe si, en l’absence de séminaire et de clergé, tous les imams sont autoproclamés. Il s’agit, par cette expression, d’invalider le statut de quelques uns pour sauver la respectabilité morale de tous les autres. C’est très bien, mais je ne suis pas certaine que ce soit la mission première du journaliste.

On sait aussi, en vertu de la logique médiatique du monde idéal, que Dieudonné est un « ancien » humoriste. Il écrit des sketches, continue à donner des spectacles (là où on ne lui a pas interdit de se produire, en Suisse par exemple) et des gens le trouvent drôle. Techniquement, c’est un humoriste. C’est sa profession, c’est ainsi qu’il gagne sa vie. Mais parce qu’il n’est pas moralement recommandable, il perd la reconnaissance de son statut professionnel par les grands médias qui eux, cela va sans dire, savent identifier un vrai humoriste.

J’avais eu l’occasion sur ce blog de citer Jean-Michel Aphatie qui, répondant à une critique que lui avait adressée François-Xavier Bellamy, qualifiait celui-ci d’« autoproclamé professeur de philosophie ». Quand on sait que l’auteur des Déshérités est agrégé, on voit mal quel titre lui manque afin de ne pas passer, auprès de Jean-Michel Aphatie, pour un usurpateur. Ce qui différencie le professeur légitime du professeur autoproclamé, c’est justement qu’il a réussi un concours de l’enseignement (Agreg, CAPES, CAFEP, CAPEPS, CAPET, etc.). Mais on aura compris que, pour Jean-Michel Aphatie, le critère distinctif réside uniquement dans le fait d’être ou de n’être pas d’accord avec le journaliste.

Najat Vallaud-Belkacem avait qualifié de « pseudo-z-intellectuels » les professeurs, écrivains ou philosophes, assez nombreux tout de même, qui osaient émettre des critiques à l’encontre de sa si bénéfique réforme du collège. Mais cette expression s’inscrivait dans une polémique, une opposition, un débat. Ministre, Najat avait le droit de contre-attaquer ainsi.

Les journalistes, en revanche, sont censés ne pas s’impliquer dans le débat. Ils le font pourtant sans gêne aucune lorsqu’ils discriminent entre « éditorialistes » et « polémistes », au point de parvenir à nous faire croire qu’il existe un métier nommé « polémiste ». Désigner quelqu’un comme un polémiste revient à dire qu’il faut recevoir son discours avec beaucoup de distance car c’est un amateur de « provocation » adepte du propos « sulfureux ». Vlan.

Aujourd’hui, à l’occasion des heurts qui ont marqué la rencontre de football entre les équipes du Havre et d’Ajaccio, nous découvrons l’existence du « pseudo-supporter » :

LCI

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AFP (légende d’une photographie que l’on trouve notamment dans le Dauphiné et le Progrès) :

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J’ai dit « nous découvrons », mais ce n’est pas exact. Ce mot est, en réalité, communément utilisé depuis longtemps dans le milieu sportif, pour une raison qui se comprend aisément, tant qu’on n’est pas journaliste : il s’agit de préserver l’image du supporter en décrétant que ceux qui se tiennent mal n’en sont pas. Le vrai supporter serait donc un gars bien calme, bien gentil, qui ne se pochtronne pas, n’insulte personne et ne tape jamais.

Seulement, le terme s’est à présent imposé dans la presse, comme s’il relevait de la pure objectivité journalistique d’exclure par principe l’idée qu’un supporter puisse se mal comporter. Mais comme toujours, certains sauvent l’honneur. Ainsi, en mars dernier, un journaliste sportif publiait dans le magazine So Foot un article où l’on pouvait lire :

Dans un monde parfait, les ultras sont polis et respectueux quand ils encouragent leur club. Les joueurs respectent les décisions de l’arbitre et attendent sagement que la vidéo sanctionne scientifiquement. Les présidents ne mentent pas ni ne magouillent jamais. Sauf que notre foot est dans le dur d’une société qui ne se construit pas qu’avec le mode d’emploi du fair-play. Et parfois, l’archétype du supporter abonné et bon client dérape. Il devient un « pseudo supporter » qui crie et frappe. C’est pourtant le même.

Il faudrait d’ailleurs que nos médias accordent leurs violons parce que pour France 2, il s’agissait bien de vrais supporters :

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La grille de lecture morale vient donc brouiller les choses plus qu’elle n’aide à les comprendre.

Et puis la ligne de démarcation est sans doute difficile à tracer : à partir de quand un supporter devient-il un pseudo-supporter ? Crier « aux chiottes l’arbitre ! » suffit-il pour passer d’une catégorie à l’autre ?

Ou bien faut-il, comme on le pressent, que le propos incriminé relève, d’une manière stricte et exclusive, des péchés les plus lourdement condamnés par la morale actuelle : racisme, homophobie, etc.?

Personnellement, je serais assez pour considérer que tout journaliste donnant la priorité à l’appréciation morale et idéologique sur le compte-rendu des faits est un pseudo-journaliste. On sauverait sans doute ainsi l’image de toute une profession.

26 commentaires

  1. « Ce qui différencie le professeur légitime du professeur autoproclamé, c’est justement qu’il a réussi un concours de l’enseignement (Agreg, CAPES, CAFEP, CAPEPS, CAPET, etc.). »
    Non. Un professeur autoproclamé est un professeur qui, en fait, n’enseigne pas – ce qui ne concerne effectivement pas Bellamy.
    Vu la « philosophie » de Macron et Blanquer, il va y avoir de plus en plus de professeurs (hétéroproclamés, puisqu’embauchés) qui n’auront pas réussi de concours de l’enseignement.

  2. En effet, il s’agit clairement d’un jugement de valeur non avoué, l’utisation de ‘pseudo-‘ ou de ‘auto-proclamé’ me rappelle la formule « parmi les chasseurs, il y a les bons chasseurs et.. » .. et les pseudo-chasseurs ou chasseurs auto-proclamés :-).

  3. Un peu de tenu Mme Riocreux, citer dans le même article : Jean Michel Apathie (ou à qui il veut celui-là) et Najat-Vallaud-Belkacem, c’est beaucoup plus que la dose maximale autorisée. Les deux, ayant l’immense avantage, le seul, de donner une idée de l’infini, des étalons en quelque sorte.
    Vous êtes donc en infraction…

    • Joseph, Mme Vallaud-Belkacem me manque. Elle était si délicieusement agaçante. Et Jean-Michel Aphatie accompagne mon petit déjeuner chaque matin, donc il m’est difficile de ne pas le citer !

      • Mme Riocreux.
        Je préfère l’écrire « Apathie » le cognome du Jean-Michel. Najat Vallaud-Belkacem… bip ! Vais me prendre un Dompéridone.
        Après, si c’est pour une oeuvre… mais préservez vous tout de même.

  4. c’était déjà l’histoire du vrai et faux communisme, le faux étant celui, dont on ne pouvait pas nier les crimes …

  5. Dommage (ou étrange) que toutes les vidéos de l’article sur Arte et les chrétiens soient supprimées.

  6. L’important, c’est que le lecteur ou l’auditeur comprenne bien qu’auto-proclamé, pseudo ou ancien sont synonymes de sulfureux.

  7. Dans un tout autre domaine, mais un domaine dans lequel vous excellez en matière de déchiffrage, je suis tombé par hasard sur deux épisodes d’une série policière, sur TF1 qui plus est, qui est un ramassis de tous les poncifs bobos à la mode, multiculturalisme, familles recomposées, minorités visibles à tout bout de champ, et toujours gentils, les méchants étant principalement des « mâles blancs » comme dirait notre président.
    Il s’agit de la série « Alice Nevers », qu’on pourrait rebaptiser « Poncifs Nevers » tant la caricature est énorme.
    Ca vaut le détour, et mériterait un décodage précis.

  8. Chère Ingrid.
    Votre analyse est merveilleuse de pertinence. Pourtant sa conclusion me gêne : car s’il est vrai que « pseudo-journaliste » est une dénomination fort adéquate, il n’en reste pas moins qu’ils s’efforcent, dans une formule peut-être maladroite, de dénoncer un comportement inacceptable.
    Je leur pardonne plus volontiers leur erreur sémantique que de se taire sur les agissements de ces barbares primaires, comme font d’autres journalistes qui ne sont pas « pseudo ».

      • Ils dénoncent un comportement inacceptable A LEURS YEUX. Or, ce comportement, pour beaucoup d’honnêtes gens, peut paraître anodin, et de fait peut l’être. De plus, et c’est ce qui établit leur aveuglement idéologique, ils jugent avec deux balances différentes les imams prêcheurs de mort et les prêtres pédophiles. Je vous renvoie au paragraphe concerné d’Ingrid. Les pseudo-journalistes sont malfaisants dans la mesure où leurs opinions infléchissent la pensée commune et l’éloigne d’une lucide appréciation du réel, sans laquelle il n’est pas de libre-arbitre et de contribution citoyenne.

        • Je ne suis pas sûre que c’est vraiment à moi que vous répondiez, mais… attaquer des bus vous paraît anodin ?

        • Curieuse appréciation , même anodin : inacceptable pour des gens de bon aloi.
          Et ici les pseudo-journalistes, justement, qui baptisent à tort pseudo-reporters des vrais, comme le note si justement notre Ingrid, n’infléchissent pas la pensée du lecteur dans un sens mauvais mais, selon moi, bon, plutôt.
          D’oû mon léger malaise, à la conclusion d’une analyse par ailleurs si bonne.

  9. Mike Buddy.
    Ce dont vous faites liste, s’appelle progressisme.
    ce n’est pas un abus de langage, que de dire au sujet du progressisme, qu’il soit un totalitarisme, et que pour arriver à ses fins il lui faut détruire tout ce qui existait précédemment.

    La famille est le premier centre d’intérêt du progressisme.
    Elle est ringardisée et atomisée, ce qui en fin de vie précipite les plus âgés dans ces lieux d’équarrissage que sont les EHPAD; les plus jeunes sont passés dans la matrice d’un enseignement dispensé officiellement par un système scolaire mais dont la part essentielle est puisée à la source des réseaux sociaux, de la télévision (y compris YouTube…), la propagande étant la référence; l’enfant est roi, fort de droits particuliers, ce qui lui confère un pouvoir inconnu à ce jour; le genre est devenu une variable d’ajustement, la nature étant déniée (tout en prétendant la défendre par ailleurs…) celui à naître vivra dans l’illusion de choisir son sexe, y compris d’être neutre (!); l’homme est la cible puisque les sociétés sont réputées patriarcale (1), et qu’en conséquence la femme est ainsi armée, comme l’enfant, de droits particuliers;
    En donnant à chacun des membres de la famille un statut particulier s’appuyant sur le droit, le progressisme avance masqué puisqu’il s’adresse à tous, ne considérant plus l’ensemble mais l’individu bardé de ses droits particuliers.

    Une fois la famille atteinte, la transposition des règles progressistes au reste de la société s’en trouve facilité.

    L’individu qui n’a jamais été autant isolé, va bientôt découvrir, pour certains ce sera long… (Matrix, pilule bleue ou rouge, ou Alice au pays des merveilles !) qu’il est son propre dieu, qu’il est en concurrence avec lui même, que les lois particulières qu’il oppose aux autres, s’imposent surtout à lui même. Puisque lorsque toutes les règles se valent, c’est qu’il n’y a plus de règles, et qu’en l’absence de règles, c’est bien celle du plus fort qui s’impose… la nature reprenant toujours ses droits, les Rousseauistes (même ceux qui s’ignorent comme tel) en étant pour leurs frais.

    Une fois la famille atomisée, l’individu qui est maintenant issu de ce qu’il convient d’appeler une matrice, revendique en permanence ses particularités, la déclinaison de celles-ci étant par essence infinie. Les totems les plus vénérés du moment étant le féminisme, le racisme, le genre.
    Le progressisme agît non pas par accusation, c’est l’erreur que la plupart commettent, mais par l’effacement du temps, c’est ici que réside la supercherie.
    Ainsi, en l’absence de toute temporalité, passé et présent se confondent, l’histoire (dont le progressisme à horreur !) est observé à l’aide des « valeurs » récentes, dont la part essentielle repose sur la fibre émotionnelle. Le contexte s’efface, le réel aussi, pour laisser place aux seules émotions. Et lorsqu’un humain, ou ce qu’il en reste est gouverné par ses seules émotions, il est alors possible de dire qu’il vit dans un système totalitaire.
    Pierre Le Coz, avec qui on peut ne pas être d’accord sur tout, démontre bien cette tyrannie dans : « Le gouvernement des émotions ». Michel Mafesoli évoque quant à lui un retour au tribalisme.
    Au sujet du temps, par le biais de la physique quantique, et de façon je pense involontaire et surement pas première, Lee Smolin redonne de la véracité au temps, et de facto à l’histoire, dans son ouvrage « La renaissance du temps, pour en finir avec la crise de la physique », la physique étant remplaçable dans le contexte par le terme société et l’ensemble de ce qui nous gouverne en surplus des principes physiques.

    Le progressisme est un universalisme, une (la) religion planétaire, à laquelle il est devenu impossible de s’opposer, ne serait ce que sur le terrain des idées. Il est protéiforme, c’est ce qui le rend d’autant plus insaisissable.

    Le progressisme permet ainsi la destruction de ce qui le conteste, de façon plus diabolique que tous les monothéismes l’ont fait avant lui, car il n’est pas un, il n’ignore personne, il amalgame tout le monde, n’a pas besoin d’un squelette ou d’une quelconque assise idéologique (contrairement aux religions), il est l’aboutissement d’un projet qui émane de chaque individu, d’un système ou chacun a endossé le rôle de dieu.

    Notre dernier Président, Emmanuel Macron, est l’illustration parfaite du progressisme. Quant il apparaît comme contradictoire, il ne l’est pas, car il dit à chacun ce qu’il a envie d’entendre, non par calcul, ce serait le supposer plus intelligent qu’il ne l’a jamais été, mais parce qu’il parle réellement à tout le monde ! Il est le fruit de ce que notre société produit de plus abouti en terme de progressisme.

    (1) proverbe Italien, qui est sur une mosaïque de mon jardin : « Il Padronne di casa sono io, ma chi comanda e mia mogli ».

      • Chi comanda la pizza ? votre soeur surement (à moins que ce ne fut votre épouse ?), je me souviens de son passage à Syracuse il y a deux ans, elle apprécie, beaucoup, les italiens ! Nous sommes accueillant en Sicile…

  10. Le terme « pseudo » vient du grec et signifie « faux » ; la « fake news » est aussi une fausse information. Nous ne sommes pas dans l’ordre moral mais dans le domaine intellectuel où un État prétend, par l’entremise de mercenaires de l’information que sont les média subventionnés, dire et décréter ce qui est vrai et ce qui est faux.

    Ce qui est faux est une infraction pénale pour les actes et les écrits et va peut-être le devenir pour les humains. La presse aux ordres préfigure la société à venir où un faux supporter sera, un jour, qui sait ? poursuivi pour faux et usage de faux du fait de son seul comportement et sa manière d’être. Ces intitulés de « pseudo «  ceci ou cela ne sont pas drôles ; ils sont prémonitoires.

    Nous allons continuer de vivre dans une démocratie mais ce sera, de plus en plus, une démocratie de fer. Le dissident, le contestataire ou plus simplement celui qui refuse de se taire sera vu et désigné comme un pseudo quelque chose. Un pas reste à franchir en apposant un signe distinctif apparent sur la veste du « pseudo » pour qu’il soit rapidement reconnu.

    Ne pouvant plus dissimuler la vérité des faits, le système doit désormais travestir ceux qui sont accusés de la colporter. Ce n’est plus la missive ou le libelle qu’on saisit mais le facteur qui porte le pli, en le condamnant ou en l’internant. Tout doucement et peut-être, sans même le savoir, nos libéraux préparent nos esprits à la terrible république islamique que sera la nôtre dans une ou deux générations.

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