Fermez les tribunaux, les médias font le boulot !
Extension des « compétences » du « tribunal médiatique »
On a coutume de critiquer le « tribunal médiatique » : quand les médias s’arrogent le droit de discriminer entre les fréquentables et les sulfureux. Mais ce tribunal ne se substitue pas systématiquement à celui des prétoires. Il a ses critères propres, ses procédures et ses sentences. Par certains aspects, il est moins sévère que les vrais tribunaux : un « dérapage » se rachète en une séance d’autocritique publique (« je comprends que mes propos aient pu blesser, etc. »). C’est d’ailleurs ce qui permet, à mon sens, de parler d’« inquisition » médiatique : une infraction au dogme que l’on fait oublier en renouvelant son acte de foi, c’est typiquement un procédé de la douce inquisition (et cela explique pourquoi nos ancêtres préféraient être jugés par l’inquisition plutôt que par la justice royale). Mais par d’autres aspects, ce tribunal est plus dur qu’un autre : vos propos, pour lesquels le juge vous relaxe ou vous condamne à payer un euro symbolique, peuvent vous valoir dans la sphère médiatique un discrédit perpétuel. Il ne doit pas être facile de vivre en voyant son nom n’apparaître dans les médias qu’accompagné des étiquettes « sulfureux », « polémiste », « controversé », « d’extrême droite », etc.
Mais, fait nouveau, le monde des médias entend désormais sortir de son domaine de compétences (si l’on ose dire) qu’étaient les délits d’opinion, pour juger les affaires criminelles. On dira que ce n’est pas neuf : la presse ne s’était-elle pas fortement engagée dans l’affaire Dreyfus, par exemple ? Mais en ce temps-là, le pluralisme de la presse reflétait le foisonnement des opinions à l’intérieur de la société. Il n’y avait pas de médias d’information de masse, prétendument objectifs, financés par des annonceurs exigeant juste qu’un discours consensuel et abêtissant leur offre l’occasion de fourguer leur cochonnerie, entre une interview et un rappel des titres. Le développement de la société de consommation a donc fait de nous des consommateurs d’information. Or, la temporalité du marketing (matraquage-changement de produit-matraquage-changement de produit) n’est pas compatible avec celle de la justice. A quoi il faut ajouter le sentiment de toute puissance des journalistes (déjà dénoncé par Balzac qui connaissait bien ce milieu) et, plus récent, leur « sens de la responsabilité » (c’est ce qu’ils disent) qui leur confère une autorité morale pour juger de toute chose en ce monde.
On ne saurait s’étonner dès lors des pratiques auxquelles nous assistons.
Le grand déballage
Les échanges qui devraient avoir lieu de manière sereine et encadrée dans le cadre d’une salle d’audience ont désormais pour lieu d’expression la sphère médiatique : dans l’affaire Daval, comme dans celle du meurtre de la petite Maëlys, les avocats de la défense tentent de susciter la compassion envers leur client, de manière malvenue et outrancière, aggravant finalement le cas des coupables présumés. Mais on peut les comprendre aussi : il doit être particulièrement décourageant de voir que le procès est, pour ainsi dire, déjà jugé… avant même son ouverture ! A quoi servent-ils, eux, à quoi servent les tribunaux, à quoi sert le Droit, dans ces conditions ?
En face, en effet, on dirait que c’est devenu un passage obligé pour les familles de victimes : il faut parler à la presse. Pourquoi ? On ne sait pas. Placées dans le camp des gentils et des gens qui souffrent, pourquoi ces personnes tiendraient-elles à s’exposer plus que nécessaire, comme s’il s’agissait pour elles de stimuler notre empathie ? Cela semble bien souvent une stratégie initiée par les avocats, qui espèrent qu’ainsi le travail leur sera prémâché, parce que la masse aura pris fait et cause pour les victimes, de manière radicale et hystérique. Car la masse, comme l’a bien montré Gustave Le Bon, n’est pas la somme des individus qui la composent ; elle est un être à soi seul, qui ne connaît que les passions extrêmes, qui adore ou qui hait, et qui lynche ce qu’il hait. La masse ne connaît pas les circonstances atténuantes, n’a aucun égard pour la présomption d’innocence ou pour la spécificité des faits qui dictera la sévérité du verdict, et se fiche des détails de l’affaire, ou ne s’en préoccupe que par un voyeurisme malsain. En séduisant la foule, on met la justice sous influence.
C’est donc un enjeu fondamental que de mettre la masse de son côté. Si N. Lelandais ou J. Daval ont peu de chance d’y parvenir, en revanche, lorsque le terrain idéologique s’y prête, on peut obtenir ainsi de vrais miracles, comme l’a montré l’affaire Jacqueline Sauvage. La coupable n’a pas bénéficié de circonstances atténuantes aux yeux des foules : tout étant tout blanc ou tout noir, elle a carrément été requalifiée en victime pour l’opinion publique. Elle est libre. Et l’on a assisté à des interviews surréalistes de juges mécontents que leur travail soit sapé par la grâce présidentielle, à qui les journalistes demandaient : « mais comprenez-vous ce que votre position a de choquant ? ». C’est la question rituelle qu’ils posent habituellement aux gens qui « dérapent ».
Familles de victimes : des prises de parole maladroites et risquées qui ne profitent qu’aux médias
. Les parents de Maëlys lisent un papier, manière d’exprimer leurs sentiments qui n’a rien de naturel. Qui a écrit ce document ou qui l’a relu et corrigé pour eux ? Dans quel objectif ? Cette mise en scène ne peut que susciter méfiance et malaise. Inévitablement, on se demande : pourquoi nous montre-t-on cela ? qu’attend-on de nous ? Et puis : pourquoi, dans leur douleur, acceptent-ils de donner dans cette farce dégradante, indécente et grotesque qui ne sert d’autres intérêts que ceux des médias en leur offrant de l’audience et du buzz ?
. L’interview des parents, de la sœur et du beau-frère d’Alexia Daval est encore plus troublante puisque, conçue comme une contre-attaque face aux accusations de la partie adverse (Alexia était une personnalité écrasante, etc.), elle semble s’évertuer à les confirmer : on découvre un Jonathann « très effacé », vivant d’abord avec sa femme dans la maison de ses beaux-parents avant que le jeune couple n’emménage dans une maison où « c’est Alexia qui a décidé de ce qu’elle voulait », en jeune femme qui « savait ce qu’elle voulait ». L’image de l’homme écrasé par une femme qui lui impose ses choix sans égard pour les siens est confirmée tout au long d’un entretien qui avait pour but, sans nul doute, de battre en brèche cette version (et l’on en vient à imaginer aussi une belle-mère envahissante et toxique confortant sa fille dans son statut de princesse tyrannique, ce qui n’était sans doute pas le but non plus). Le beau-frère de la victime évoque-t-il le fait que la stérilité du couple provoquait des « tensions », sa femme (la sœur de la victime) tique et le reprend : « je ne parlerais pas de tensions ».
Le premier sent manifestement que, à trop insister sur le caractère doux de l’assassin en qui jamais on n’eût pu soupçonner la moindre violence, et sur l’absence de disputes au sein du couple, on risque d’accréditer l’idée que le type a tout encaissé sans jamais aller au conflit, jusqu’au jour où il a craqué (hypothèse que, pour ma part, à ce stade, je trouve vraisemblable, comme je l’ai écrit ici). Son épouse, elle, ne veut pas qu’on parle de « tensions » parce que cette notion implique une brutalité partagée (au moins verbale) ; elle veut une agression dans laquelle victime et coupable sont caricaturalement identifiables, elle veut Maëlys Daval face à Jonathann Lelandais. Quoi qu’il en soit, Jonathann Daval n’est pas le genre de coupable que l’on transformera en victime, même si son cas devait présenter de fortes similitudes avec celui de Jacqueline Sauvage. Face à Ruth Elkrief, personne ne lit de papier, mais la contrepartie de ce faux naturel est que chacun tente de contrôler au maximum son propos et même celui des autres. L’attitude de la sœur de la victime est, à ce titre, la plus frappante. Elle est physiquement crispée quand les autres parlent.
Quant à Ruth Elkrief, elle se retrouve dans une position bâtarde : à la fois ostensiblement émue et froidement journaliste, à la fois confidente et flic, elle fait alterner registre émotionnel et registre factuel, paroles de compassion et formulation d’objections. On en vient à se demander : qu’allait-elle faire dans cette galère… sinon le buzz ? Parce que cette interview n’est pas une conférence de presse, c’est encore mieux : une « exclusivité BFMTV », annoncée avec force roulements de tambour, suspense et diffusion d’extraits en avant-première. Toute une stratégie marketing.
Le grand déballage public est encore de mise dans l’affaire de l’héritage de Johnny Hallyday. Et toujours, nous sommes sommés de prendre parti, dans des histoires dont nous ne savons pas grand-chose, mais déjà tellement plus que nous ne devrions.
Le verdict médiatique finalement invalidé
Que dire lorsqu’on voit que trois jours avant l’ouverture du procès des anarchistes de Tarnac, « Envoyé Spécial » a diffusé une longue interview de Julien Coupat ? Ne pouvait-on pas attendre que le verdict eût été prononcé ? Comment comprendre cette programmation autrement que par une volonté d’influer, si peu que cela soit, sur le verdict final ? En effet, à en croire l’intégralité des médias, ce procès n’a pas lieu d’être : c’est « le gouvernement de l’époque » qui a qualifié Coupat et sa bande de « terroristes », puis « le dossier s’est dégonflé ». Fort bien, mais que ne rappellent-ils à cette occasion combien eux-mêmes ont contribué à bâtir cette version des faits qu’ils fustigent comme une manipulation d’État ?
En 2010, soit deux ans après le sabotage de la ligne TGV, l’Express consacrait un article au traitement médiatique de l’affaire et l’introduisait par ces mots :
A méditer.
Comme pour les élus, nous avons les médias que l’on mérite. C’est même pis que ça car les journalistes ne sont jamais que des gens ordinaires agissant comme tels. S’ils sont si mauvais c’est qu’ils sont issus d’un système qui les a formaté plus qu’instruit.
La déculturation générale abouti à une survalorisation des sentiments et de l’image, nos sociétés sont lacrymales à souhait et se soumettent bien volontiers à la vindicte populaire. Guilluy parle de la gauche Hashtag (gauche étant ici un générique, le concept est extensible à d’autres).
Cette immédiateté du traitement est évidemment réductrice à la recherche de pureté qui est le filigrane de nos sociétés manichéennes.
Une vie, pour la plupart, se réduit donc à un comportement linéaire dans lequel tout écart, même minime, à la moyenne (et que mettre derrière moyenne ?) se paye cash par une mise au ban de la société qui rend ses jugements d’autant plus violemment qu’ils sont maintenant gazouillés.
Même Onfray en est à faire des commentaires sur Leticia Hallyday au sujet de l’héritage de Johnny, même ce philosophe est atteint du syndrome de l’immédiat qui de facto se réduit à un jugement de la chose abordée, en lieu et place d’une analyse circonstanciée.
Je vais arrêter de vous lire car chacun de vos articles me Bernard l’hermise d’avantage. Nan je rigole…Grazie di esistere !
« Pluralisme – Indépendance – Objectivité » — c’est l’acte de foi théorique du journalisme. Mais ça, c’était avant.
[…] On a coutume de critiquer le « tribunal médiatique » : quand les médias s’arrogent le droit de discriminer entre les fréquentables et les sulfureux. Mais ce tribunal ne se substitue pas systématiquement à celui des prétoires. Il a ses critères propres, ses procédures et ses sentences. Par certains aspects, il est moins sévère que les vrais tribunaux : un « dérapage » se rachète en une séance d’autocritique publique (« je comprends que mes propos aient pu blesser, etc. »)…… Cliquez ici pour lire la suite […]
dans le même registre, le truc le plus énervant de l’affaire Cantat :
Aucun média ne dit que Cantat a demandé à être jugé à Vilnius parce que son avocat savait que là-bas le crime passionnel (ils ont réussi à faire avaler cette pilule là aussi) était plafonné à 8 ans de prison.
Et donc, puisqu’il a demandé à être jugé là-bas, qui (et pourquoi) a accepté que la peine soit exécutée en France ? sachant qu’automatiquement les 8 ans deviendraient 4 ans ! Il fallait l’y laisser en Lituanie !
mon avis, c’est que derrière ça il y a des considérations idéologiques, des petits services échangés entre gens de gauche, y compris dans la magistrature.
Juste pour vous dire,Madame, de continuer vos excellentes analyses impertinentes dans le droit fil de votre remarquable livre. J’ai 67 ans et une très longue expérience de la désinformation, je ne peux que constater l’absence « assourdissante » de telles analyses dans les médias subventionnés.D’une certaine façon, vous me faites penser à Madame Delsol qui écrit de remarquables ouvrages d’une grande profondeur. Dahlet mad! (en breton, « tenez bon! »…
Bonjour
je publie régulièrement des textes (3 par mois, en moyennes) sur des problèmes des idées, de la politique, de la société, etc. Serait-il possible de créer un blog sur Causeur ?
N’ayant pas de mail de la rédaction, j’utilise cette faculté du commentaire pour vous joindre ! Si jamais vous les lisez attentivement – les commentaires ?
A vous lire
Richard Brunet
Le Parti Psychologique
richard.brunet.lpp@gmail.com
06 67 31 74 06
En ces jours tristes, l’opinion (la presse;;;;;;;;;;) ne supporte pas l’attente, les délais des enquêteurs puis des avocats et enfin des juges. Il lui faudrait un « jugement » immédiat, à l’emporte pièce, exécutable et inattaquable . Or, il n’en est pas ainsi, tout le monde le sait et les patrons de presse s’assoient dessus pour faire du FRIC!
Pour le reste, la populace suit.
La populace ici ne se limite pas aux rassemblements sur les places publiques du marché à la plage; elle comprend -aussi- les enquêteurs qui veulent faire « vite et classé », les journalistes qui alimentent divers « torchons » (et pas qu’eux), les avocats qui ne peuvent laisser passer l’occasion de se faire un « nom » à défaut de faire un travail propre et le pire quelques magistrats soumis à la grisaille et au mal être.
In fine tout s’étiole, plus de morale, plus de retenue, plus d’analyse objective donc plus de JUSTICE !
Il est vrai, que les médias veulent se substituer à la justice. Preuve en est, avec BFM et tous ces journalistes qui échafaudent des hypothèses et tirent des conclusions hâtives .
La liberté de la presse qui revendique son droit à l information, qui se fait juge, procureur.
Il y a cette ingérence également, pour l exclusivité de l info et du coup, tenir les téléspectateurs avec des vérités et des contre vérités. Mais surtout avoir le plus grand nombre, pour se faire de la pub et clamer : 1ère chaîne d infos de France.