Chloroquine: Didier Raoult publie de nouveaux résultats sur plus ...

« Recadrer » est un terme très aimé des médias. Comme bien d’autres mots, il présente la particularité de délivrer un information juste (résidant ici dans l’idée de contradiction, d’opposition entre deux théories) tout en la colorant d’un jugement de valeur susceptible d’influer fortement sur l’opinion de celui qui reçoit cette information.

Dérivé de « cadrer », au sens de « délimiter », « recadrer » a subi la même extension du sens concret (ex: « recadrer une photographie ») au sens abstrait; dans ce dernier cas, le cadre en question est celui d’une norme. Mais l’emploi admis comme neutre et correct ne concerne que l’application à des entités inanimées: « on recadre un projet », « on recadre une mission ». L’Académie Française désigne comme « familière » l’extension de ce verbe à des cas où son complément d’objet est un être humain. « Recadrer quelqu’un » n’est donc pas correct; c’est une formule imagée et relâchée.

De cette dimension familière découle la valeur péjorative de l’expression. En effet, « recadrer quelqu’un » crédite le sujet d’une autorité légitime et fait peser sur l’objet un fort discrédit.

L’actualité nous en donne un merveilleux exemple. Voici une information : « Le Pr. Raoult estime que l’épidémie est en train de disparaître à Marseille ; l’ARS conteste cette affirmation ». On peut étoffer cette information en indiquant les arguments de l’une et l’autre des parties en présence. Reste l’idée initiale: l’expression de deux thèses opposées soutenues par deux sources autorisées. Parenthèse: on pourrait déjà considérer comme orienté le choix de réduire une équipe de recherche au nom de son directeur, parti pris qui a pour effet d’isoler celui qu’on espère faire passer pour un charlatan en dépit de ses qualifications (objectives), de ses compétences (reconnues par ses pairs) et des fonctions qu’ils occupe grâce à elles. Je précise ici que je n’ai aucune opinion ni sur les positions exprimées par le Pr. Raoult ni sur celles de ses contradicteurs. Comme toujours, je déteste seulement que des gens aussi peu compétents que moi prétendent émettre des jugements définitifs et me contraindre, par la magie des mots, à les adopter malgré moi.

De fait, voici comment cette information a été diffusée

Par l’Obs:Raoult1

Dans le corps de l’article, son rédacteur désigne le Pr. Raoult comme un scientifique « controversé ». Rappelons que, dans le discours médiatique, cette adjectif ne signifie pas « qui suscite la controverse » : il est systématiquement investi de la charge dépréciative qui le fait réserver aux individus qu’on espère discréditer. Il devient, pour ainsi dire, un synonyme du classique « sulfureux ».

Par l’Express:

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On notera le sur-titre : « polémique ». Encore un terme du lexique médiatique auquel nous sommes bien habitués et qui a sa valeur propre: la « polémique », ce n’est pas bien (cf. le terme de « polémiste » forgé pour discréditer des personnalités aux idées divergentes par rapport à la norme, des gens qu’il faut donc perpétuellement « recadrer »). Celui qui suscite la polémique a tort; il a dit quelque chose de mal. On est dans ce registre purement moral qui génère la classification officielle distinguant les personnes respectables de celles qui ne le sont pas.

Par 20 minutes:

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Par CNews :

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Par Ouest-France:

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Le discrédit pesant sur le Pr. Raoult s’étend à toute personne défendant sa thèse au sujet l’efficacité du traitement impliquant l’hydroxychloroquine. Ainsi, Philippe Douste-Blazy, qui avec d’autres médecins, soutient le Pr. Raoult et appelle de ses voeux la prescription d’hydroxychloroquine pour soigner les cas symptomatiques du Covid-19, doit-il lui aussi être… »recadré » :

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3 commentaires

  1. Bonjour, chère colllllègue (avec plusieurs « l »)

    Bravo pour vos articles, toujours frappés au coin du bon sens…Aïe..

    Dans « l’abécédaire raisonné du néo-crétinisme », (http://www.barbarisme.com/r1.htm) voici l’article Recadrer : « à part son sens en photographie (redimensionner une photo), ce verbe signifie maintenant remettre à sa place, rabrouer, rembarrer, rappeler à l’ordre, sermonner, tancer, passer un savon, voire remettre dans les rails ou remonter les bretelles (ce ne sont pas, encore une fois, les équivalents qui manquent). Comment recadrer un collaborateur bordélique titre un article, Le ministre de la Justice recadre Brice Hortefeux titre un autre article. Autre exemple : Devant les Français, le Président se devait d’y mettre fin. Il déclarait avoir recadré ses proches (Kabyles point net du 23.07.2012 à propos du tweet de V. Trierweiler ; noter la majuscule intempestive de Président). Encore un exemple ? Roms : Hollande recadre les ministres sans les départager (Libération point fr, 02.10.2013). Fr. Hollande passe apparemment l’essentiel de son temps à recadrer ses ministres, comme une bande de gamins indisciplinés (il les rappelle à l’ordre, il les remet à leur place). Ce sens proviendrait, apparemment de la Programmation Neuro-Linguisitique (P.N.L.), où il correspondrait à de la simple manipulation mentale. La dérive (‘remettre quelqu’un à sa place’) est bizarre. Le lecteur curieux trouvera ICI une liste d’équivalents proposés par Bruno Dewaele.

    Loteur a trouvé la graphie cadrer au lieu de recadrer : Puisse Hollande cadrer Trierweiler afin que ce type de dérapage ne se reproduise plus, tout le monde y gagnera en sérénité (tribune Agora-Vox, 13.06.2012). Encore une fois, c’est la preuve qu’on emploie aujourd’hui les mots dans n’importe quel sens, n’importe comment et avec n’importe quelle graphie.

    Étymologie : formé sur cadrer : s’adapter exactement (au caractère d’une chose). Cadrer vient du latin quadro, quadratum, quadrare : équarrir, former un carré, former un tout harmonieux et équilibré. Puis convenir, être conforme. Recadrer, dans cette optique, c’est rendre conforme à certaines directives. »

    Un Bible sur les néo-cons !

  2. Bonjour,
    Je suis de votre avis, comme bien souvent. Recadrer est un terme qui me paraît humiliant. Or, même si le professeur Raoult se trompe, je pense qu’il ne mérite pas d’être humilié, car il a une compétence indéniable et il a fait certainement tout ce qu’il peut pour soigner les gens. On pourrait donc lui montrer un peu plus d’égards.
    Je suis également ravi de pouvoir vous relire.

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