catalogne feuDepuis quelques semaines, tout le monde est « pacifiste » en Espagne. À moins que non.

Les seuls méchants, c’est acquis, sont les membres de la Garde Civile espagnole :

violence guardia civilTous les autres, si on les en croit, sont des « pacifistes » :

pacifiste mal employé2tous pacifistes« Pacifiste » semble, en outre, pouvoir permuter sans problème avec « pacifique », y compris pour les journalistes. Ainsi, quand le footballeur Iniesta écrit ceci sur sa page facebook :

Analyser publiquement des situations avec des opinions aussi partagées, je ne l’ai jamais fait et je ne le ferai pas. Mais la situation dans laquelle nous sommes actuellement est exceptionnelle et je voudrais qu’on la clarifie avant qu’elle n’empire : j’en appelle au dialogue. Que nos responsables dialoguent. Faites-le pour nous tous. Nous méritons de vivre en paix,

la reformulation journalistique obscurcit quelque peu le message :

catalogne confus2Il faudra m’expliquer.

Le problème, bien entendu, est que les deux mots ne sont pas équivalents.

La première vraie manifestation pacifiste a eu lieu le 8 octobre, c’est la « manifestation blanche » en faveur du dialogue :

manif en blanc

 

Les autres manifestations, qu’elles soient favorables ou opposées à l’indépendance de la Catalogne, ne peuvent pas, par définition, être « pacifistes ». Au mieux, elles seront « pacifiques ».

Il y en a qui mélangent tout et passent, pour cette raison, à côté de la question :

catalogne confusUne « manifestation anti-indépendance » peut être pacifique mais certainement pas pacifiste. On peut appeler « à l’unité et au dialogue » mais il arrive un moment où l’on doit choisir : au nom de l’unité, est-on prêt à renoncer au dialogue ? Au nom du dialogue est-on prêt à renoncer à l’unité ? Car contrairement à ce que l’on dit communément, le dialogue n’est pas la solution: il doit aboutir à une solution.

De même, ici, « pacifiste » est mal employé :

pacifiste mal employéPar définition, le mouvement indépendantiste n’est pas « pacifiste ». Il peut juste être plus ou moins « pacifique ».

C’est toujours ce bon vieux suffixe en -iste auquel on ne prend pas garde…

Un pacifiste milite en faveur de la paix, il refuse de prendre parti dans un conflit et appelle seulement de ses vœux l’arrêt des hostilités. Si l’on ne craint pas d’être vilain, on dira qu’un pacifiste authentique est toujours, puisqu’il ne prend pas parti, l’allié objectif du plus fort, c’est-à-dire potentiellement du moins pacifique. Les premiers collabos, à leur corps défendant, sont toujours les pacifistes. N’importe quelle paix, mais par pitié, la paix.

C’est l’esprit pacifiste qui incite à refuser de construire un synagogue pour ne pas énerver les barbus

En général, la parole des pacifistes est instrumentalisée par le plus fort pour mieux écraser l’adversaire. Comme celle du conseiller conjugal dans les crises de couple : « tu vois, dis la mégère, il a dit que nous devions faire des efforts tous les deux » et, au final, le pauvre mari qui s’écrasait déjà en permanence se retrouve totalement anéanti, prié de faire encore plus « d’efforts ». Je ne sais pas jusqu’à quel point mon analogie est valable mais, comme dit le commissaire Gilbert, « c’est pour l’exemple » :

Le caractère pacifique d’un mouvement ou d’une manifestation en faveur d’une cause précise (autre que « la paix ») ne lui est pas intrinsèque et peut céder le pas à d’autres moyens d’action si nécessaire.

Bien entendu, on peut être à la fois indépendantiste ou anti-indépendantiste et pacifiste, en ce que l’on espère que les choses vont se régler sans heurts. Mais en définitive, tout est affaire de hiérarchie des convictions. Des deux camps en présence, lequel est le moins pacifiste ? Autrement dit, quel est celui qui est prêt à sacrifier son désir de paix à sa volonté de faire aboutir ses revendications politiques ?

Ce qui est amusant, d’ailleurs, c’est que le caractère pacifique des manifestations hostiles à l’indépendance est contrebalancé par le choix journalistique d’un vocabulaire belliqueux qui trahit le parti pris de nos médias en faveur des indépendantistes (presque jamais désignés comme des séparatistes, ce qui est l’indice le plus évident de cette préférence) : les unionistes « montrent leurs muscles » et font des « démonstrations de force » :

catalogne démonstration de forcecatalogne démonstration de force2catalogne montrent musclesVous pouvez toujours chanter des chansons et brandir des bouquets de fleurs. Si l’on a décidé que vous êtes violents, vous serez violents.

7 commentaires

  1. Merci une fois de plus à Ingrid Riocreux ! Toujours aussi clairvoyante et honnête intellectuellement. Bel esprit d’analyse. J’avais, effectivement, bien remarqué l’esprit partial des médias sur ce dossier. Les indépendantistes sont bien traités et sont les pauvres victimes d’un état espagnol (qui a pourtant la loi avec lui). J’ai été bien éclairée aussi lorsque j’ai entendu et vu sur une chaîne télé l’autre soir, l’ambassadeur d’Espagne en France expliquer que les images des soi-disant violences policières étaient fausses, qu’elles avaient été « fabriquées », et que de surcroît le soir de ces très grandes violences il y avait seulement trois personnes légèrement blessées à l’hôpital et plus qu’une seule le lendemain. C’est dire à quel point, les violences avaient été rudes… Ce Monsieur a martelé que la négociation était possible en restant dans la légalité. Il était digne et clair.

    • Je n’ai pas regardé cette émission, mais ce même ambassadeur d’Espagne a été interviewé sur France Inter dans le journal de 19 heures le jour des manifestations. La journaliste (d’un total parti pris en faveur des séparatistes, faut-il le souligner ?) n’a eu de cesse de tenter de le coincer dans les cordes pour lui faire dire exactement ce qu’elle voulait, elle.
      Ce en quoi il n’a pas obtempéré et, ne se laissant pas démonter par la malignité manipulatrice france-interienne, a maintenu la position du gouvernement espagnol.
      Bel exemple — une fois de plus me direz-vous — de la déontologie journalistique de nos médias publics.

    • La seule négociation possible serait celle qui consisterait à définir les conditions de la reddition de l’Etat espagnol. Aucun Etat n’accepterait cela, surtout s’il a la loi et la constitution pour lui, ce qui est le cas. Le problème catalan n’admet en conséquence que deux solutions: 1-les Catalans s’accommodent de la large autonomie qu’ils ont déjà, ou 2-les Catalans prennent les armes pour imposer leur indépendance. La raison va vers la première solution, mais il y a en Catalogue (où je me rends régulièrement depuis 20 ans et où je suis actuellement) une coterie de forcenés de l’indépendance à tout prix, flanqués de je-ne-sais-pas-ce-que-je-veux, d’étudiants toujours à l’affût du merdier maximum, de gauchistes de tous poils qui se rejouent octobre 17 tous les matins, et de migrants couvés par la gauche, très nombreux dans la Generalitat. Tout ce petit monde fait pression sur le chef de l’exécutif, Carles Puigdemont, incapable d’imposer une solution raisonnable pour s’être imprudemment engagé sur une voie sans issue. Il ne nous reste plus qu’à attendre le 19 octobre, date fixée par le gouvernement central pour un choix clair de l’exécutif catalan.

  2. Bonjour

    Bonsoir
    Si je vous suis entièrement sur l’analyse lexicale, je suis un peu gêné en ce qui concerne votre critique du pacifisme. Je suppose qu’elle vise les velléités de certains à l’aube de la seconde guerre mondiale.
    Mais quand j’envisage l’attitude réellement pacifiste du pape Benoît XV avant la seconde guerre mondiale, attitude qui lui valut d’être pris à partie par les deux camps, je ne pense pas qu’il ait jamais été l’allié objectif des plus forts.
    Cette remarque mise à part, j’attends toujours vos chroniques avec impatience.
    Cordialement
    J-M Poublanc

  3. Chère Ingrid,

    Votre article m’aura remis en mémoire la raison de la dénomination de l’Océan Pacifique par son découvreur… Alors même que c’est l’Océan qui comprend les tempêtes et cyclones les plus importants de Terre. C’est à dire que dans ce cas, même employé à bon escient, l’usage de ce mot aura été indument fallacieux.

    Je vous souhaite une belle journée.

    PS @ M. ROUQUET : toute indépendance est forcément par nature anti-constitutionnelle. La seule question est: est-elle fondée ou pas (c’est à dire parle-t-on d’un peuple différent, ou non)?

    La-dessus, le critère linguistique nous éclaire quelque peu: de la même façon que la Tchétchénie ne sera jamais indépendante (pas plus au fond que l’Ukraine) car la langue du cru est largement dépassée par la pratique du Russe, de la même façon que la Gaule se prend une branlée par César car elle parle le Romain et non le gaulois… J’ai de forts doutes quant à l’obtention à court terme de l’indépendance par la Catalogne. Vous remarquerez que les Basques non plus ne l’ont pas eu (alors qu’eux la parlent, leur langue).

  4. Que les media soient en faveur des indépendantistes n’est pas surprenant puisque l’objectif de l’UE est d’atomiser les Etats-Nations pour ne garder que des grandes régions plus faciles à manipuler.

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