Cela s’appelle la Boîte noire de l’homme en noir, et ce n’est pas précisément un exercice d’autodérision. Plutôt un autocouronnement à la Napoléon : un best of de vingt ans de télé ardissonienne racontés par Thierry en personne, et édités ces jours-ci par l’Institut national de l’audiovisuel.
Cette sélection de douze heures en six DVD se présente sous la forme d’« émissions impossibles », comme il dit, où sont rassemblés les meilleurs moments (à son goût) de ses quatre programmes les plus fameux (aux yeux du public). En bonus, les acheteurs du coffret y trouveront un septième DVD, avec interview d’Ardisson garantie non coupée (deux heures vingt-neuf minutes TTC).
Il y raconte sa vie professionnelle avec une franchise qui surprend agréablement, là où on aurait pu craindre un exercice d’autoglorification.
Ce serait oublier que Thierry est un pro ! Lui qui a imposé l’interview décoincée – voire parfois débraillée –, il ne va pas quand même pas poser en Kim Il-sung triomphant… Mais il y a autre chose : une distance par rapport à son personnage qui fait que ça sonne vrai. Il raconte ses succès mais aussi ses échecs, et parle avec justesse de ses «deux ou trois»années de traversée du désert.
Cela dit, qu’on se rassure, le mec garde une conscience aiguë de sa valeur : « Mon boulot, c’est mes idées ! », répète-t-il volontiers. Et c’est vrai qu’il en a eu plein d’idées, de toutes sortes et de toutes qualités. La première, c’est l’interview « chic et trash » dans une boîte de nuit branchée (Bains de minuit, puis Lunettes noires pour nuits blanches). La dernière, c’est le talk-show en forme de mixeur géant où « se côtoient les putes et les archevêques », au milieu des jingles et des gimmicks (Tout le monde en parle).
Quant à la plus intéressante à mes yeux, elle ne figure pas, hélas, dans le coffret. Rive droite, Rive gauche, c’était un JT culturel à base de controverses : d’une rive à l’autre, on s’interpellait, mais on s’écoutait aussi. La passion sans crispation : un modèle du genre !
Tel quel, ce coffret pourra être visionné avec profit, au-delà du cercle des inconditionnels, par tous ceux que l’époque intéresse : on y voit défiler, sur vingt ans, une chenille géante de people du monde culturel et artistique. (Apparemment, le politique vieillit moins bien.)
Bien sûr qu’Ardisson a innové en matière de télé, en jouant avec les modes et les codes, les idées et les fantasmes, les invités, le public et luimême. Il innove encore ici, avec cette “mise en boîte noire” déjà destinée à la postérité.
Au lieu de laisser n’importe qui saloper le boulot au dernier moment, ce perfectionniste livre déjà ici de quoi remplir les soirées-hommages que la télé ne manquera pas de lui consacrer après sa disparition… En attendant, pas question pour Thierry de prendre sa retraite : “The Ardishow must go on !”
Publié dans Valeurs Actuelles, le 4 novembre 2010.