L’été passé, en votre absence (excusée), Arte diffusait un intéressant documentaire intitulé Mozart Superstar. Toute l’idée est dans le titre, avec son anachronisme aguicheur : bien avant le King et Lady Gaga, Wolfgang fut la première rock star !
Une thèse illustrée par une avalanche de rapprochements heuristiques. Mozart n’est-il pas mort jeune, comme toute superstar qui se respecte, de James Dean à Marilyn ? Enfant déjà, n’eut-il pas un père imprésario, limite “dresseur”, qui le trimballait tel un singe savant aux quatre coins du continent – comme Michael Jackson ?
Et attendez, ce n’est pas tout ! Compositeur, Mozart a à son actif un paquet de “tubes” planétaires – comme Madonna ! Rebelle par nature, il a volontiers donné dans la “provocation” – comme les Sex Pistols… Et puis ce dandy, avec sa fameuse redingote rouge à boutons d’or, n’était-il pas en dernière analyse une « fashion victim hyperlookée » – comme Lady Gaga ?
N’en jetez plus ! Au bout d’une demi-heure de cette démonstration, on demande grâce : oui, Mozart fut le premier musicien à connaître une popularité internationale comparable à celle de nos stars ; et alors ?
La comparaison, hélas, ne mène pas très loin. Bien sûr, on apprend au passage plein de choses sur la vie et l’oeuvre du génie de Salzbourg. Une seule chose pèche dans ce documentaire : son angle, limite obtus. Réduire Mozart à une superstar, fût-elle la première, c’est passer à côté de l’essentiel : son génie particulier et universel.
Nos stars ne sont pour la plupart que des étoiles filant à plus ou moins grande vitesse. À l’inverse, deux cent vingt ans après sa mort, le rayonnement mondial de Mozart n’a jamais été aussi fort. Comme dit joliment Philippe Sollers, « si Wolfgang réclamait des droits d’auteur aujourd’hui, il pourrait acheter l’Autriche » !
C’est d’ailleurs l’épastrouillant Sollers qui, en conclusion de ce documentaire, réduit à néant sa thèse centrale : l’équation Mozart = superstar. « Le problème est de savoir ce qui dure, et ce qu’il en restera dans deux cent vingt ans. Je vous donne rendez-vous, et je vous assure que Mozart sera toujours là ! »
On ne saurait mieux dire. Décidément, l’âge venant, notre Fregoli des idées se fait plus exigeant dans le choix de ses déguisements. S’il n’a pas renoncé aux palinodies – faut pas pousser non plus ! – , Sollers a cessé de les prendre au sérieux, et lui-même avec. C’est sa voie vers la profondeur.
Notre ludion ne se contente plus de jouer des personnages, il joue avec son propre personnage. Toujours “incontrôlable” mais libre désormais, sans plus de comptes à rendre à personne – comme Mozart transformant, avec les Noces, une pièce interdite en opéra à succès. Le jeune Wolfgang aurait aimé ce vieux Philippe-là. Viva la libertà !
Publié dans Valeurs Actuelles, le 13 septembre 2012