Antoine Rivaroli, alias Rivarol, à qui nous devons le célèbre et magnifique Discours sur l’universalité de la langue française, était aussi journaliste. Sans doute inspirés par ce prestigieux modèle, les journalistes actuels se sentent tenus de prendre parti dans les débats concernant la pédagogie du français.

Qu’il serait bon d’effectuer quelques menues modifications dans les nomenclatures de la grammaire scolaire, je ne le nie pas. Si on me demandait mon avis, je dirais qu’il faudrait veiller à ce que le complément d’attribution ne cohabite plus avec le COI/COS comme s’il s’agissait de notions distinctes alors que celles-ci ont remplacé celle-là. Et qu’il serait temps que l’on cessât de considérer « donc » comme une conjonction de coordination alors qu’il fonctionne comme un adverbe. Toucher au COD ne me semble pas indispensable, même s’il est vrai qu’on devrait prendre garde au choix des exemples, qui prête parfois à confusion. « La bouchère pèse le poulet » ? COD. Mais « le poulet pèse deux kilos » ? Pas COD. Je ne vais pas développer ici mais je tiens à dire que les problèmes d’étiquetage des notions, dont tout le monde se gausse ces temps-ci, ne sont pas de purs artifices gratuits. L’enjeu est de rendre compte au plus près de la perception que nous avons du fonctionnement de notre langue, de ce qu’on appelle le sentiment de langue. Il n’y a rien de plus naturel que la grammaire : dans son essence, elle n’est pas normative, mais descriptive. Elle est la science qui prend pour objet la structuration de notre pensée. La vision du monde qui constitue comme l’inconscient commun d’un peuple est profondément inscrite dans sa grammaire.

Qui n’est pas sensible au caractère mystique de la grammaire pourrait l’être un peu plus à son aspect utilitaire. En effet, on n’a pas besoin de savoir ce qu’est un COD pour parler correctement le français. Ni l’anglais d’ailleurs. Mais imaginez que vous souhaitiez apprendre une langue flexionnelle… « Le latin et le grec, c’est fini, ma pôv dame ! » Oh je sais. Mais je pensais à la belle langue de Goethe et de Tokio Hotel, de Rammstein, Schiller et Angela Merkel. Langue que l’on peut commencer à apprendre bien avant la quatrième (moment de découverte du COD). Telles que les choses se présentent, alors qu’il suffit de deux ou trois leçons d’anglais pour savoir dire « I see a dog », il faudra patienter au moins trois ans (en faisant quoi ?) avant de pouvoir affirmer sans erreur : « Ich sehe einen Hund ». J’ai bien dit « eineN » (COD).

Il est vrai que M. Macron a résolu le problème :

Et les médias ont décidé pour nous que le prédicat, c’est l’avenir. Du moins jusqu’à ce que surgisse quelqu’un qui brandira un concept nouveau, le COD. Sous un autre nom, évidemment : complément premier, par exemple, ou pourquoi pas « accusatif », à l’ancienne ? Et les journalistes acclameront cette innovation.

Les médias ont avec les idées nouvelles le même rapport que les enfants avec les nouveaux jouets : c’est neuf, donc c’est chouette. J’ai consacré un passage de mon livre au traitement médiatique du débat autour des méthodes de lecture. Je me permets d’y renvoyer les lecteurs de ce blog. J’ai voulu montrer que les journalistes, sans qu’on leur demande rien, se chargent d’asséner l’idée selon laquelle la méthode globale n’a aucune responsabilité dans notre inaptitude actuelle à lire correctement. Je décortique une émission d’enfumage (pardon, de fact-checking) entendue sur France Info, dont les affirmations péremptoires en la matière (la méthode globale n’a jamais existé en France, tout le monde aujourd’hui apprend à lire de manière syllabique, etc) furent radicalement démenties quelques mois plus tard par un reportage de France 2, autrement plus rigoureux. En août 2015, deux sociologues publiaient un livre dénonçant les méfaits avérés des méthodes idéo-visuelles (globale et semi-globale) et vantant les mérites de la méthode syllabique. Seulement, elles eurent soin de ne pas dire globale ou syllabique, parlant plutôt des « méthodes dites progressistes » actuellement en vigueur, face à la « méthode explicite ». Les journalistes firent à cet ouvrage un excellent accueil. C’est pourquoi je dis que les journalistes acclameront le grand retour du COD… dans quelques années.

Pour l’instant, ils font avec le prédicat comme avec le réchauffement climatique. Ils se soucient peu des débats d’experts, qu’ils ont déjà tranchés, et prennent fait et cause pour le nouveau bidule.

Pardon, pas « nouveau » puisque c’est Aristote qui a inventé le prédicat, comme le rappellent nos nouveaux rivarols,sans s’étonner qu’un philosophe grec ait accouché d’un mot latin. De fait, le « prédicat » d’Aristote s’appelait « catégorie » et n’était pas une notion de grammaire mais de logique. Il est vrai que tout le monde s’y perd : l’Express attribue l’irruption du prédicat à la réforme de l‘orthographe,

Tandis qu’ailleurs, on croit que son apparition change les règles de la grammaire :

Libé a accompli sérieusement le travail. Le journaliste ne cherche pas à faire comme si le maniement de la notion de prédicat allait de soi et, rencontrant une phrase qu’il ne parvient pas à analyser en termes de sujet/prédicat, soumet cette difficulté à Florence Leca (excellent choix: très gentille, très compétente, très pédagogue). Je ne connais pas son opinion sur l’introduction du prédicat à l’école primaire mais elle fait magistralement la démonstration qu’il n’a rien à y faire, révélant au journaliste de Libé que parfois, le sujet (grammatical) revêt le rôle du… prédicat verbal ! On comprend que les instits vont s’arracher les cheveux ! Mais le journaliste aura soin de conclure sur une pirouette iconoclaste en demandant qu’on en finisse avec l’obsession de la maîtrise de la langue. C’est sûr que cela mettrait un point final à la discussion : allons enfiler des perles et boire un coup, au lieu d’analyser des phrases.

J’ai cherché désespérément un article qui s’intitulerait « Le prédicat : une nouvelle provocation du Conseil Supérieur des Programmes ». « Provocation » est un mot que les journalistes aiment beaucoup. Mais ils l’appliquent aux initiatives de Robert Ménard et Cie, plutôt qu’à celles du CSP. Allez savoir pourquoi.

De même Jean-Paul Brighelli ne peut-il espérer être désigné comme un « intellectuel partisan des méthodes traditionnelles » : il sera un « polémiste, défenseur de la vieille école ». Vieux réac énervé, en gros.

On remarquera que les titres des articles visent à minimiser le problème : on parle de disparition du COD et le lecteur se dit « Boaf, on ne va pas en faire un drame. »

On goûtera particulièrement cet article :

Ce n’est pas « l’objet » d’une « controverse », c’est le « prétexte » d’une « polémique ».

  • Prétexte = cette contestation est illégitime, on a choisi cette raison parce qu’il en fallait une, mais les contestataires eux-mêmes ne croient pas à la validité de leur position.
  • Polémique = agitation malsaine.

Le texte de l’article est du même tonneau :

Comme un polichinelle sortant à nouveau de sa boîte [comparaison visant à ridiculiser le débat], la polémique [cf. supra] sur le « pédagogisme » [pincettes pour employer un mot que l’on condamne] et les nouveaux programmes a rebondi en ce début d’année (électorale) [les contestataires ont des arrière-pensées politiques et ne se préoccupent que faussement de pédagogie]. « En 2017, la grammaire est simplifiée, voire négociable », a lancé [réaction épidermique et irréfléchie] une professeure ayant participé à une formation en grammaire. « Un nouvel intitulé est apparu, issu du travail des linguistes, appelé le prédicat. C’est, dans une phrase, ce qui se définit par, je cite, “ce qu’on dit du sujet” », commence-t-elle par dénoncer [non, cette entrée en matière ne constitue pas une dénonciation: il s’agit de la définition du prédicat, préliminaire à l’argumentation. Présenter la chose ainsi achève de discréditer l’institutrice] sur un blog de Télérama.

« La grammaire, c’est fini ? », interroge peu après la « une » du Parisien [exemple caricatural et outrancier, choisi à dessein pour ridiculiser la controverse]. Et de donner la parole [cette expression s’accompagne souvent, dans les médias, d’une désapprobation : donner la parole reviendrait à donner une tribune ; justification implicite d’une censure nécessaire] au polémiste [Vlan ! Cf. supra] Jean-Paul Brighelli, qui s’insurge [il ne critique pas, il s’insurge : réaction excessive et inconsidérée] contre cette notion. Il avait précédemment évoqué dans Le Figaro « la grammaire sacrifiée » [nouvel exemple caricatural car dissocié de sa justification].

« Le prédicat ?… Une nouveauté ?… Diable !… », répond en effet [ce « en effet » ne se justifie que parce que les phrases précédentes portaient une condamnation sous-entendue de la position adverse ; il manifeste le parti pris du rédacteur] Christophe Chartreux sur son blog, où il explique que « depuis toujours, le latin réserve une place de choix au “prédicat” sans que cela soulève la moindre protestation… » [Un peu de fact-checking ne serait pas un luxe mais comme l’idée va dans le bon sens, on laisse passer]. « Le prédiquoi ? La réponse n’est pas difficile à trouver chez nos amis québécoisqui enseignent cette notion depuis plus longtemps que nous : le prédicat, c’est (tout simplement) la fonction du groupe verbal », ajoute le site Charivari à l’école [silence total sur la crise de l’enseignement au Québec, qui s’accompagne d’une remise en cause des pratiques éducatives mises en œuvre « depuis longtemps »].

Dans un billet fourni, Jean-Michel Zakhartchouk revient point par point sur l’ensemble de la polémique. Sur son blog, Luc Cédelle remonte aux racines de « l’antipédagogisme » [= être contre l’emploi de la notion de prédicat, c’est être antipédagogiste, mot qui pue] et souligne le caractère « transpolitique » de ce discours venu d’horizons [brume inquiétante] de pensée hétéroclites [sous-entendu, y compris d’horizons de pensée peu recommandables + idée que c’est une pensée bâtarde donc peu rigoureuse, une espèce de réaction spontanée et injustifiable].

Si j’osais, je dirais que le traitement journalistique de l’affaire du prédicat relève presque de la prédication.

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